Trois questions à l’avocat Jean Laure Liongo sur le marché public de gré à gré

Kinshasa, 25 mai 2025 (ACP).- La passation des marchés publics de gré à gré suscite un intérêt particulier au sein de la population congolaise. C’est dans ce cadre que la rédaction de l’Agence congolaise de presse (ACP) a contacté Me Jean Laure Liongo, avocat au barreau de Kinshasa Matete, dans capitale de la République démocratique du Congo, pour une meilleure compréhension de la procédure requise en la matière.

Question 1 : la passation des marchés publics de gré à gré est-elle légale ? Si oui, sur quelle base ?

Réponse : Oui, la passation des marchés publics de gré à gré est légale, mais elle est encadrée strictement par la loi.

La base légale se trouve dans : La  loi n°10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics, spécialement en son article 42.

Le Décret n°10/22 du 2 juin 2010 portant manuel de procédures de passation des marchés publics.

Le gré à gré (ou marché par entente directe) est une procédure exceptionnelle, permise dans certains cas bien définis :

Cas autorisés :

– Urgence impérieuse (ex : catastrophe naturelle, guerre, pandémie…) ;

– Fournisseur ou prestataire exclusif (quand un seul peut fournir le service ou produit) ;

– Recherche, développement ou expérimentation ;

– Marché complémentaire ou similaire déjà confié à une entreprise, dans des conditions strictes.

Question 2 : Quels sont les avantages et les inconvénients de ce mode ?

Réponse : La procédure de gré à gré présente certains avantages non négligeables, notamment sa rapidité d’exécution. En évitant les lourdeurs administratives propres à l’appel d’offres ouvert ou restreint, elle permet de répondre efficacement aux situations urgentes. Cette souplesse est également utile dans des domaines techniques ou spécialisés, où un seul fournisseur est en mesure de répondre aux exigences de l’administration. Elle peut ainsi réduire les délais de passation et faciliter la continuité des services publics.

Cependant, ce mode de passation comporte aussi des inconvénients majeurs. Il est particulièrement exposé aux risques de corruption, de collusion et de favoritisme, en raison de l’absence de concurrence ouverte. Le manque de transparence qui l’entoure peut aboutir à des marchés surfacturés, de moindre qualité ou attribués à des entreprises politiquement favorisées. De plus, le recours abusif à cette procédure peut nuire à l’équité du système de passation des marchés et décourager les opérateurs économiques honnêtes. Dans la pratique congolaise, de nombreux abus ont été décriés, illustrant les dérives possibles de cette exception légale.

Question 3 : Compte tenu des abus décriés, quelles améliorations peut-on apporter à la loi pour la rendre plus efficace ?

Réponse : Pour rendre la loi plus efficace et prévenir les abus liés à la passation de marchés de gré à gré, plusieurs réformes peuvent être envisagées. Tout d’abord, il serait essentiel de renforcer les mécanismes de contrôle et de redevabilité. Cela pourrait passer par la création ou l’autonomisation d’un organe indépendant chargé d’auditer et de contrôler la régularité des marchés publics, avec une obligation de publication régulière des rapports d’audit. Ensuite, il conviendrait de restreindre davantage le recours à la procédure de gré à gré, en redéfinissant de manière plus rigoureuse les notions d’urgence impérieuse et en introduisant des plafonds financiers au-delà desquels cette procédure serait interdite, sauf approbation motivée à un haut niveau de l’État.

Par ailleurs, il est impératif de renforcer les sanctions administratives, civiles et pénales contre les agents publics et contractants privés qui abusent de cette procédure. Cela dissuaderait les pratiques illicites et encouragerait une culture de responsabilité. La digitalisation des procédures, à travers une plateforme numérique nationale des marchés publics, permettrait également de rendre le système plus transparent et accessible au public. Enfin, une formation continue des autorités contractantes aux principes de la commande publique, à la transparence et à l’éthique contribuerait à instaurer de meilleures pratiques dans la gestion des fonds publics. ACP/C.L.

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