(Par Evelyne LUYELO)
« Félicitation Madame, votre enfant est en bonne santé », cette phrase qui semble banale fait mon bonheur et je tiens qu’elle me soit dite chaque mois quand je me rends à la séance mensuelle de la consultation post-natale, confie Mme Chance Kahindo, mère de 4 enfants et femme au foyer vivant dans la ville de Goma, en République démocratique du Congo.
Pour la petite histoire, Mme Kahindo avait perdu deux enfants à bas âge à la suite de grossesses à risque qu’elle a eu à l’âge de 36 ans et très rapprochées : « J’ai eu mon second enfant 11 mois après le premier. Etant donné que je me suis mariée tard, j’avais résolu d’avoir vite des enfants avant que j’atteigne la ménopause. Quelle grosse erreur ! Seule et malade, j’ai failli y rester, suite à la césarienne à la seconde naissance. Je n’ai pas su m’occuper de mes enfants. Je les ai perdus à deux semaines d’écart ».
Suite à cette expérience malheureuse, cette mère de famille a pris la décision de se faire aider pour préserver sa santé et celle de ses enfants étant donné qu’elle était enceinte pour la troisième fois.
Après cet épisode, Mme Kahindo et son mari se font suivre et adopter une méthode contraceptive. Depuis lors, leurs enfants survivent et sont en bonne santé. Cela, suite à une planification familiale qui leur permet d’avoir des naissances voulues avec un suivi des services sanitaires.
Aujourd’hui, le couple a trois enfants avec des espacements d’au moins deux ans et en bonne santé grâce au planning familial.
La planification familiale salutaire
La planification familiale (le planning familial) se définit comme l’ensemble des moyens qui concourent au contrôle des naissances. Cela, dans le but de permettre aux familles de choisir d’avoir un enfant ou pas. Les centres de planification familiale sont les lieux qui mettent à la disposition du public des informations y relatives.
Malgré les avantages qu’offre la planification familiale, Mme Kahindo fait partie de ces personnes qui ont compris et adhéré timidement à la planification familiale en RDC. La sensibilisation est indispensable pour pousser le pays à faire des progrès car le taux des adhérents reste encore faible, a-t-elle fait observer.
En effet, selon le baromètre de la santé maternelle 2022 de la Communauté de développement des pays d’Afrique australe (SADC), en RDC, le taux de mortalité maternelle est le plus élevé avec 693 décès pour 100.000 naissances vivantes. Pour inverser cette tendance, la RDC a élaboré, depuis 2014, son premier Plan stratégique national de planification familiale.
Il a ensuite formalisé la légalisation de la planification familiale en 2018. Le Plan stratégique national vise à augmenter la prévalence contraceptive moderne à 19% en 2020, 39 % en 2030 et au moins 50 % avant 2050.
Une affaire de couple
A ce jour, des avancées sont timides mais ont quand même de l’influence sur la vie des familles. Les hommes et les femmes interrogés dans différentes villes du pays affirment, pour la plupart, être informés du sujet mais beaucoup ont du mal à l’appliquer à cause de leurs valeurs culturelles, des croyances religieuses ou parce qu’ils pensent que c’est une histoire des femmes et préconisent les méthodes naturelles.
C’est dans cette optique que le Dr Clarisse Mundunga donne des explications concernant les différentes méthodes contraceptives. « Celles-ci sont notamment les pilules de contraception orale, les implants, les contraceptifs injectables, les patchs contraceptifs, les anneaux vaginaux, les dispositifs intra-utérins, les préservatifs, la stérilisation masculine ou féminine, les méthodes d’aménorrhée lactationnelle, les méthodes reposant sur le retrait (coït interrompu) et la connaissance des périodes de fertilité ».
Dans le même ordre d’idée, « il revient à chaque couple d’utiliser la méthode qui lui va le mieux après un bilan médical », conseille Dr Marguerite Lukusa, médecin à l’Hôpital général de référence de Kintambo à Kinshasa.
Pour elle, toutes les méthodes sont efficaces du moment où elles empêchent les grossesses non désirées et à risque qui sont à la base de décès maternel et de la pauvreté des ménages suite à un nombre élevé d’enfants dans bon nombre de foyers en RDC.
Contrairement à Mme Kahindo, d’autres personnes hésitent encore à adhérer à planification familiale à cause, d’une part, du manque d’informations et, d’autre part, la peur des conséquences qui peuvent découler des méthodes contraceptives.
« Je n’utilise pas le préservatif car je pense que la sensation n’est pas la même. Je fais usage de calculs, c’est-à-dire, l’abstinence totale pendant la période dite fertile ou le coït interrompu. Ainsi, j’ai réussi à éviter les grossesses non désirées qui pouvaient aboutir à des avortements, ou la mortalité de la mère et ou de l’enfant », a fait savoir un fonctionnaire de la ville de Kinshasa qui a requis l’anonymat. Il avoue qu’avec sa femme, ils ne vont pas au centre de santé pour ce faire.
C’est le cas aussi de Neema Sinza, une femme de la ville de Goma dans le Nord-Kivu qui n’utilise pas de méthodes contraceptives. Sa peur se justifie par le fait que des complications peuvent surgir par exemple de concevoir de nouveau ou avoir de risque de malformation du fœtus ou encore l’anémie provoquée par le saignement régulier et abondant chez certaines femmes qui, à la longue, peut causer le cancer du col de l’utérus, selon elle.
« Chaque femme est différente. Un bilan est toujours nécessaire avant d’adopter une méthode contraceptive surtout hormonale », conseille le Dr Marguerite Lukusa, avant d’ajouter que c’est une affaire de couple.
Avoir la bonne information
C’est important que le couple soit suffisamment informé afin de choisir la méthode qui lui est convenable. A Kinshasa, 1% d’hommes accompagnent leurs femmes pour le service de planning familial, révèle le Dr Jeannette Masolo, médecin directeur du Centre de santé Libota.
Pour elle, les hommes doivent participer aux séances d’informations car il doit être au courant des avantages et des inconvénients que présente chaque méthode en vue de mieux planifier et vivre une meilleure vie sexuelle de couple .
Giganda Esther, responsable du planning familial à l’Hôpital militaire de Kikwit dans la province du Kwilu, est satisfaite malgré que l’implication des maris dans la planification familiale soit encore timide.
« A Kikwit, on remarque une nette amélioration des naissances désirées par rapport aux années précédentes, suite à l’implication des hommes qui adhèrent au planning familial et à la conjoncture économique actuelle, ainsi que de moins en moins des cas de mortalité maternelle sont déplorés », a expliqué le Dr Trésor Matata, médecin au Centre de santé Masamba.
« Les hommes suivent actuellement le cycle menstruel de leur femme et le choix des méthodes sont fait ensemble », raison pour laquelle, ces derniers temps, il n’y plus assez d’accouchements non désirés. C’est une bonne chose pour la santé maternelle et infantile, s’est-il réjouit.
Le pourcentage des maris qui s’impliquent dans le planning familial est encore en dessous de la moyenne mais on remarque déjà son impact. Raison pour laquelle Esther Chaza, une clinicienne de la ville de Goma, revient sur les avantages de la planification familiale, expliquant que pour la femme, elle lui permet de se reconstituer l’utérus après chaque naissance et d’être physiquement en forme.
Pour l’enfant, elle permet une bonne croissance. A l’homme et à la famille, elle permet de faire des économies, de s’offrir des biens que ne peuvent prétendre des familles nombreuses ou pauvres. Elle permet d’éviter aussi certaines maladies comme l’hypertension suite à des stress dus aux multiples charges.
L’art. 14 du Protocole de Maputo ratifié par la RDC, concernant le droit à la santé et au contrôle des fonctions de reproduction, demande aux États entre autres d’assurer le respect et la promotion des droits de la femme à la santé, y compris la santé sexuelle et reproductive.
Ces droits comprennent le droit d’exercer un contrôle sur leur fécondité, le droit de décider de leur maternité, du nombre d’enfants et de l’espacement des naissances et le libre choix des méthodes de contraception. ACP/