(Par Arthur Kayumba)
Les artistes ne meurent jamais mais ils demeurent à travers leurs œuvres. C’est le cas pour celui qui est considéré par les mélomanes des deux rives du fleuve Congo comme le précurseur de la musique congolaise moderne, Joseph Athanase Kabasele, connu sous le nom de Grand Kallé, décédé à Kinshasa, le 11 février 1983.
Grand Kallé reste le père de la musique congolaise moderne, comme premier artiste à avoir créé un orchestre avec des instruments modernes. Ce chanteur a apporté le rythme cubain dans la musique de la RDC. Avec sa voix, ses célèbres compositions telle qu’Indépendance cha cha et Table ronde, Joseph Kabasele dit Grand Kallé reste un phénomène de la musique en RDC.
Le génie de Joseph Kabasele alias Kallé Jeff a voulu que le Congo jadis colonie de la Belgique, favorise un meilleur brassage musical qu’a établi non seulement un pont entre le Cuba et son pays, mais aussi qui a scellé dans la mémoire collective un style de la rumba congolaise moderne inscrite aujourd’hui au patrimoine culturel de l’UNESCO.
Certes qu’il faut souligner que son itinéraire dans la musique électrifiée a été marqué par une intense activité de recherche dans toutes les fontaines traditionnelles des musiques tropicales chaleureuses.
Devenu grand artiste, Kallé Jeff a été aussi le formateur et le maitre incontesté des artistes de son temps comme Rochereau, Nico, Manu Dibango, pianiste et saxophoniste camerounais, membre de son orchestre l’Africain jazz.
L’on reconnait dans cet artiste, la première star sensible, cultivé, amoureux de la beauté et du rêve, dont il a fait montre, d’un sens très poussé de l’adaptation rythmique après s’être tourné vers l’Amérique latine et les Caraïbes pour modeler sa musique.
Le mérite de Kabasele, d’après le Pr Yoka Lye Mudaba, c’est que « se trouvant à Kinshasa au carrefour des cultures diverses, il a réconcilié les tendances les plus centrifuges et audacieuses. C’est un politique au sens étymologique d’homme de son temps et de cité, mais également au sens où il a rêvé d’une culture congolaise compétitive ».
Et d’ajouter : « On a beaucoup insisté également sur le romantisme de Kallé, le confondant avec des inconstances d’un poète. Kallé était classique surtout dans la construction de son inspiration, ce qu’il faut donc retenir, c’est la fidélité à la vérité, la constance à une praxis inaliénable, incorruptible. C’est en cela qu’il est un artiste engagé »
Cet ancien pré chantre de la paroisse Saint Joseph avait voulu embrasser ce métier pour satisfaire deux ambitions à savoir, chanter et partager cette passion avec les autres et communiquer. Kallé Jeff avait l’envie de briller et d’être une star, les deux étant excitants et indissociables.
En 1961, alors que l’African Jazz se scinde en deux ailes, Kallé rassemble quelques musiciens autour de lui (Tino Baroza, Dicky, Roger Izeidi, Lutula Clari, Mwena) et s’envole pour Bruxelles. Dans la capitale belge, Kabasele et les siens se font accompagner par Manu Dibango dans l’enregistrement de plusieurs chansons dont certaines sont en français. Ces interprétations tirées dans la discographie européenne sortent sous le nouveau label que Kallé Jeff a créé : les éditions Surboum African Jazz.
Dans cette balade euro-caraïbéenne, on retrouve les artistes congolais dans un autre registre. Beaucoup excellent dans la perfection de cet art dont ils maîtrisent les contours. Les variétés occidentales et caraïbéennes sont bien présentes dans les concerts. A l’époque, le Congo culturel est attentif à tous les vents musicaux qui soufflent dans le monde musical. Plusieurs de ces hits passent à la radio et à la télévision.
Un panafricaniste à travers certaines de ses œuvres
En auditionnant la chanson « ebale ya congo », un titre consacré à la fraternité entre les deux Congo joué par l’African Team, l’engagement de Kallé démontre que depuis la Table-Ronde, cet artiste n’a cessé d’appeler les Congolais de deux rives du fleuve et les Africains à l’union, au travail et à la paix.
Kallé Jeff a souligné que le fleuve Congo n’est pas une frontière, mais une simple voie de communication.
Au-delà des deux Congo, la Rumba occupe une place de choix sur tout le continent, puisqu’elle a connu son apogée dans l’ébullition sociale, politique et culturelle précédant les indépendances africaines. Porté par Kallé Jeff, l’un des pères fondateurs de la Rumba congolaise et leader de l’African Jazz, c’est lui qui a fait entrer la musique congolaise dans la modernité en faisant la jonction avec les autres musiques noires de chaque côté de l’Atlantique.
« Avec Tabu Ley Rochereau, une nouvelle manière de faire de la musique en groupe plutôt qu’individuellement est née favorisant ainsi le début des orchestres, cette tradition va éclore partout sur le continent. Et sa rumba va prendre une dimension plus importante encore, avec une veine mélancolique marquée par des mélodies plus lentes, des textes en Lingala qui évoquent la vie réelle des Congolais qui traversent comme tous les autres, des moments de rupture qui rencontrent l’amour, font face à des injustices ou veulent tout simplement rester debout, lutter. C’est fortement marqué par le contexte politique de l’époque », affirme M. Marcello Ngeleka Musangu, mécène et opérateur culturel.
Et à M. Jean Pierre Omanga, lui aussi opérateur culturel d’ajouter : « Grâce à son instruction que Grand Kallé avait convaincu des politiques à s’intéresser à ce que font les musiciens du pays, en créant son propre label ».
Né le 16 décembre 1930 à Matadi, 1949 est l’année qui consacre la carrière musicale de Joseph Kabasele. Il débute cette carrière dans le groupe vocal « La voix de la concorde». Une année après, en 1950, au moment de gloire de Zacharie Elenga dit Jhimmy, un jeune talent et chanteur de surcroît fait parler de lui. La petite liberté autorisée dans le culte lui donne l’occasion de chanter régulièrement à la cité avec les amis dans la forme de Maringa, danse populaire à l’époque. ACP/KHM/ODM