Trois questions au Pr Yoka Lye, écrivain et analyste culturel

Kinshasa, 23 avril 2023 (ACP).- L’avenir du livre physique, le rôle à jouer par les acteurs du monde de l’écrit et le problème des droits d’auteur ont été abordés par le Pr. Yoka Lye, operateur culturel et écrivain en République démocratique du Congo (RDC), lors d’un entretien samedi avec l’ACP.

C’était à l’occasion de la Journée mondiale du livre et du droit  d’auteur, célébrée le 23 avril de chaque année.

Le livre imprimé dont on avait prédit la disparition depuis des lustres ne mourra pas, à cause de l’avènement du Numérique. Au contraire il voit sa force médiatique être renforcée grâce à l’Internet. Il faudrait une politique efficace et consensuelle entre les pouvoirs publics, les privés  et tous les intervenants de la chaîne de production du livre pour garantir sa continuité.

Dans le domaine du droit d’auteur, l’État congolais doit s’imposer en y mettant de l’ordre, surtout, dès lors que la question se complique davantage avec l’avènement du Numérique.

Question 1. Que pensez-vous de l’avenir du livre physique à  cette époque de la révolution numérique en  République démocratique du Congo ?

Pr Yoka Lye : « Vous savez, c’est à plusieurs reprises qu’on a annoncé  la mort du livre avec l’avènement du Numérique.  Le livre ne mourra pas parce que nous avons l’envie de le palper, de sentir le papier. Il s’agit d’une sensation sensuelle. Le livre d’abord est un compagnon affectif,  et en plus du point de vue technique, on constate que le numérique est venu renforcer la force médiatique du livre. Aujourd’hui, vous pouvez maintenant retrouver tous les livres publiés à l’Internet. Et donc, au contraire, l’internet est venu donner du poids à la production du livre.

Ainsi, par rapport à notre pays, s’il faut faire les statistiques dans ce grand pays d’environ 80 millions d’habitants, dégagez ceux qui sont dans les villes, qui ont de l’argent et qui disposent des téléphones android, vous allez vous rendre  compte de la minorité qui utilise le livre numérique et que le reste de la population continue à recourir au livre imprimé, notamment les écoles qui disposent des bibliothèques.

Donc statistiquement parlant, le livre  imprimé a encore une prépondérance en République démocratique du Congo. Il faut utiliser l’internet à bon escient. Que l’Internet n’envahisse  pas le livre, qu’il  soit plutôt un adjuvant du livre, un  instrument d’appui au livre, afin que ce support soit mieux connu, mieux diffusé et  distribué ».

Question 2. Et pour relever ce défi, que recommandez- vous aux différents acteurs impliqués dans la chaîne du livre ?

Pr Yoka Lye : « A ce sujet, il faut dire que cela dépend de la politique du livre d’un pays. Il  y a la part du gouvernement: celle d’acheter, de promouvoir et de donner des garanties  à l’accessibilité et à la continuité du livre, surtout dans les milieux ruraux où l’internet est méconnu. Et il y a aussi la part  des privés, les consommateurs qui doivent s’y mettre aussi. Les Congolais sont souvent pressés quand ils ont l’argent de construire des flats hôtels,  d’aménager des bars ou des « tabaeries », mais ils  ne pensent pas aux aspects de la culture, notamment le livre qui coûte cher, ou encore le papier.

Alors qu’il y a des conventions internationales, comme celle de Florence qui permettent la détaxation de tout ce qui est pédagogique. Normalement les livres scientifiques ou scolaires ne peuvent pas être taxés comme marchandises.

Ce qui permet donc aux écoles, aux individus ou aux magasins d’avoir accès à ce type de support à moindre coût. Donc il faut une politique du côté gouvernement et la pratique du côté des privés qui ont les moyens. Il faudrait que les privés et les pouvoirs publics puissent se mettre ensemble, pour asseoir une politique du livre. Et pour ça, nous ne sommes pas arrivés à ce stade là ». 

Question 3. Parlant du domaine des droits d’auteur en République démocratique du Congo, pourquoi selon vous, cette question n’a jamais été une solution définitive jusqu’à semer la division parmi les artistes congolais?

Pr Yoka Lye : « Le problème du droit d’auteur, est une question d’éthique et de gestion managériale. A ce sujet, l’État qui est le garant de la protection et de la sécurité des personnes et de leurs biens, dispose du pouvoir régalien de mettre de l’ordre là où il y a le désordre. Maintenant avec l’avènement du Numérique, les questions du droit d’auteur deviennent délicates. Le contrôle et la réglementation deviennent encore difficiles.

Aujourd’hui tout le monde est capable d’accéder à l’Internet, d’écouter telle ou telle musique, d’en télécharger même, bien qu’il existe des moyens de les contraindre, mais les moyens de tarification  n’est pas toujours possible. Comment pouvoir calculer les royalties à partir des diffusions que l’on ne contrôle pas, parce que l’Internet, c’est partout ? Parce que l’Internet est sans frontières.

Maintenant on recourt notamment au calcul des vues, ce que certaines plateformes font pour promouvoir et  faire des affaires.

Ce qui n’est pas donné à tout le monde. Déjà il y a une minorité qui a accès au numérique et le reste qui est en activité permanente quotidienne n’arrive pas à entrer dans ce circuit là. Autrement dit,  il y a déjà une fracture entre ceux qui travaillent avec le Numérique et ceux qui ne s’en servent pas. Jusqu’aujourd’hui, il y en a qui continue à travailler avec le stylo et le papier tel que dans l’administration publique où l’on voit certains vieux papas continuer à utiliser de gros  registres.

Lesquels se constituent en des tonnes et des tonnes d’archives parfois  » inemployés et inemployables » par la suite,  alors que l’ordinateur existe.

Ce qui justifie un problème d’initiation, de changement de cap ou de migration vers le numérique. Il faut donc une volonté politique et un  courage des générations présentes à migrer vers la culture du numérique. ACP/CL

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