Kinshasa, 30 juin 2025 (ACP).- L’adoption d’une loi spécifique sur les violences conjugales en République démocratique du Congo (RDC) a été recommandée lundi à Kinshasa, par une spécialisée en droit pénal, pour renforcer la protection des victimes et garantir une justice effective.
« Pour mieux protéger les victimes de violences conjugales en RDC, nous recommandons plusieurs mesures notamment : l’adoption d’une loi spécifique sur les violences conjugales, la création de tribunaux spécialisés, le renforcement de la formation des acteurs judiciaires et sanitaires.
Nous plaidons aussi pour la mise en place de centres d’accueil pour femmes et enfants en danger, ainsi que l’allocation effective du budget au Fonds d’assistance judiciaire », a déclaré Me Aïcha Nsasi, spécialiste en droit pénal et en droits des femmes, qui s’exprimait dans le cadre de la commémoration de la 65ième année de l’indépendance de la RDC.
Me Nsasi a indiqué que des avancées notables ont été réalisées en matière de lutte contre les violences conjugales 65 ans après l’indépendance, soulignant également l’importance de l’accès à la justice pour les victimes et de la sensibilisation pour un changement des mentalités.
« En ce 65ème anniversaire de l’indépendance de la RDC, des avancées notables ont été réalisées en matière de lutte contre les violences conjugales, mais des défis importants persistent, notamment sur le rôle central de l’évolution des mentalités », a-t-elle souligné.
Elle a, à cette occasion appelée à une prise de conscience collective, une réforme juridique et un changement culturel profond.
«Tant que les violences conjugales seront perçues comme des affaires privées ou excusables au nom de la tradition, les lois resteront lettre morte. Il faut une prise de conscience collective, une réforme juridique et un changement culturel profond », a-t-elle dit.
Cette spécialiste en droit pénal a fait savoir qu’en RDC, toute victime de violences conjugales peut légalement porter plainte. Selon elle, la première démarche consiste à se rendre au poste de police le plus proche ou, en fonction de la gravité des faits, directement au parquet de grande instance.
Me Aïcha Nsasi a aussi indiqué que cette possibilité est ouverte aussi bien à la victime elle-même qu’à un tiers : proche, voisin ou ONG; si la victime est empêchée physiquement ou psychologiquement.
« Le commissariat de police est souvent le point d’entrée, mais dans les cas graves, certaines victimes préfèrent s’adresser directement au parquet afin d’éviter des tentatives de médiation informelle », a précisé Me Aïcha Nsasi avant d’ajouter qu’« une fois la plainte déposée, l’enquête peut être déclenchée par le ministère public, même sur simple dénonciation, conformément à l’article 48 du Code de procédure pénale. Toutefois, pour garantir des suites judiciaires solides ».
Cette avocate a souligné qu’il est recommandé de fournir des éléments de preuve tels qu’un certificat médical décrivant les blessures, des photos ou vidéos, des témoignages de tiers et un procès-verbal d’intervention policière.
En outre, elle a fait remarquer qu’aucune loi spécifique sur les violences conjugales n’existe à ce jour en RDC.
« Plusieurs dispositions du Code pénal (notamment les articles 46, 170 et suivants) permettent d’instruire des poursuites pour coups et blessures, menaces ou violences aggravées. Les peines prévues varient de 6 mois à 20 ans d’emprisonnement selon la gravité des faits », a expliqué Me Aïcha Nsasi, rappelant les différentes mesures de protection qui peuvent être décidées par le magistrat instructeur, à savoir, l’éloignement de l’agresseur et l’interdiction de contact avec la victime.
Cependant, dans la pratique poursuit-elle, ces mesures sont rarement appliquées, en raison d’un manque de formation des magistrats, de ressources logistiques et de structures d’hébergement pour les femmes en danger.
« En principe, la victime peut bénéficier d’une aide juridique gratuite grâce au Fonds d’assistance judiciaire mis en place par l’État. Mais ce dispositif reste largement théorique : Le fonds existe, mais sa mise en œuvre est quasiment inexistante sur le terrain. Ce sont essentiellement les cliniques juridiques, ONG féminines et la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) qui assurent l’assistance des victimes, souvent à leurs propres frais », a-t-elle renchéri.
Les principaux freins à l’accès à la justice pour les victimes révélés
Par ailleurs, cette spécialiste en droits des femmes a indiqué qu’au-delà des contraintes juridiques, les principaux freins à l’accès à la justice pour les victimes des violences conjugales restent d’ordre social et culturel.
Parmi ces principaux obstacles, elle a énuméré entre autres, la pression familiale »pour préserver l’honneur du couple », la dépendance économique de nombreuses femmes, notamment dans les mariages coutumiers, ainsi que la rétractation fréquente des plaintes sous influence sociale ou financière, la banalisation des violences par certains agents publics ou policiers.
« Le témoignage d’une victime suffit légalement à engager des poursuites, mais les retraits de plainte, souvent encouragés par l’entourage ou certains agents, entraînent l’abandon des procédures », a conclu Me Nsasi.
ACP/C.L.