ACP : 65 ans de souveraineté informationnelle au service de la mémoire congolaise (John Masebi)

Kinshasa, 30 juin 2025 (ACP).- Alors que la République démocratique du Congo célèbre le 65ᵉ anniversaire de son indépendance, une autre naissance, plus discrète mais hautement symbolique, mérite d’être rappelée : celle de l’Agence congolaise de presse (ACP), créée le 12 août 1960 par décret du Premier ministre Patrice Emery Lumumba, dans le sillage immédiat de la souveraineté nationale. 

Conçue comme un outil de libération médiatique, l’ACP ancienne Agence Zaïre Presse (AZAP), incarne depuis 65 ans la mémoire active de la nation congolaise.

Son décret fondateur, signé à peine six semaines après la proclamation de d’indépendance, visait à libérer l’information nationale de la tutelle des agences coloniales, au moment où le récit congolais restait largement façonné par des sources étrangères comme Belga (Belgique) ou l’AFP (France).

Il fallait une voix enracinée dans les réalités locales, au service des Congolais.

« L’histoire du Congo, désormais, ne s’écrira plus à Bruxelles, à Paris ou à Washington, mais au Congo même et par des Congolais », avait déclaré Patrice Lumumba dans son discours historique du jeudi 30 juin 1960 prononcé à Léopoldville devant Baudouin 1er, Roi des Belges.

En écho à cette vision : la création de l’ACP quelques semaines plus tard s’inscrit comme un prolongement structurel de cet engagement à reprendre la parole nationale. L’agence devenait ainsi, dès sa fondation, un organe stratégique pour garantir l’expression souveraine des Congolais sur leur propre histoire.

Installée dans des locaux modestes à Léopoldville (actuelle Kinshasa), l’ACP débute avec une poignée de journalistes, une paire de téléimprimeurs, quelques machines à dactylographier, et un embryon de réseau de correspondants bénévoles en provinces. 

Ses premières dépêches relatent notamment les discours et activités des autorités de Léopoldville, dont le Président Kasa-Vubu, et le Premier ministre Lumumba, mais l’ACP traite aussi de la crise katangaise et des tensions postcoloniales, événements dont la résonance reste étonnamment actuelle.

Dans son bulletin de nouvelles du Congo du 16 janvier 1961, l’ACP rend compte d’une fusillade entre troupes congolaises et belges à Kisenyi (ou Gisenyi), à l’époque située dans le territoire du Rwanda-Burundi encore sous administration coloniale belge, aujourd’hui intégrée au Rwanda, à quelques encablures de la ville congolaise de Goma, sur fond de tensions post-indépendance.

« Un incident dont les détails sont encore confus a eu lieu à Kisenyi (Gisenyi). Suivant des informations de sources diverses, une violente fusillade a opposé durant plusieurs heures des soldats congolais et des troupes belges. La fusillade a éclaté jeudi après-midi et s’est poursuivie ensuite par intermittence durant toute la nuit. Une compagnie de para commandos congolais avait pénétré jeudi dans Kisenyi puis ouvert le feu sur les sentinelles belges qui gardaient l’accès du Rwanda et du Burundi », a rapporté l’ACP.

Après de brefs échanges de tirs, le quartier général militaire belge au Rwanda-Burundi a annoncé, deux jours plus tard, que « les troupes congolaises qui avaient pénétré la ville dans le territoire venant de la province du Kivu se sont retirées ».

Dans une autre dépêche du même jour, l’ACP rapporte une réunion politique à Léopoldville, où Jean Bolikango, président du Puna (parti de l’unité nationale), appelle les leaders provinciaux à l’unité pour sortir de la crise.

« Le leader du Puna s’est longuement étendu sur la situation politique en général. La table ronde (…) est l’ultime chance qui nous reste pour résoudre les problèmes de notre pays. Que les grands leaders des six provinces y apportent leur concours, car ceux qui n’y prendront pas part seront considérés comme favorisant la perpétuité de la crise au Congo. (…) Tous nous devons former un bloc pour sauver notre pays de l’impasse actuelle. Oublions nos propres ambitions, nos vieilles querelles et voyons le problème du pays sur le plan national. Luttons pour le redressement de son économie, car n’oubliez pas que plusieurs capitaux sont prêts à être investis au Congo, mais la situation critique où nous nous trouvons ne le permet pas », a-t-on lu dans la dépêche de l’ACP.

Un témoin direct des soubresauts de l’histoire

Des années 1960 aux années 1990, l’ACP traverse les crises politiques, les transitions violentes et les profondes mutations du pays, qu’elle documente avec constance. En 1971, sous le régime du maréchal Mobutu, elle prend le nom d’Agence Zaïre Presse (AZAP), dans le prolongement du changement d’appellation du pays.

Instrument d’État dans un contexte autoritaire, l’agence reste néanmoins une véritable école de journalisme, où le professionnalisme s’efforce de survivre malgré les contraintes du pouvoir. Cette rigueur fait de l’ACP un miroir fidèle de l’histoire congolaise, capable d’aider la nation — dirigeants comme administrés — à éclairer son présent et à construire son avenir à la lumière des faits, contribuant ainsi à sortir des ornières de l’amnésie collective.

Un bulletin de l’AZAP du 16 décembre 1971 illustre cette fonction mémorielle. Il annonce le lancement d’une étude conjointe belgo-française sur le futur port en eaux profondes de Banana, un projet dont la concrétisation effective n’a débuté, malheureusement, qu’un demi-siècle plus tard, sous la présidence de Félix Tshisekedi.

« Une mission franco-belge séjourne actuellement à Kinshasa pour préparer les études finales du port de Banana et de sa zone industrielle ainsi que celles de l’agglomération de Moanda. Elle a pu conclure, avec le citoyen Gaston Kisanga, ministre des Transports et Communications, à la suite de plusieurs réunions de travail, un accord complet pour le lancement immédiat des études conduisant à l’exécution prochaine des travaux », rapportait le bulletin de l’AZAP en 1971.

Dans les années 1990, l’ACP couvre de manière assidue les grandes étapes de la transition démocratique en République démocratique du Congo, notamment la Conférence nationale souveraine et les débuts du multipartisme.

En août 1998, alors que Kinshasa est menacée par des « inciviques » qui s’avéreront être des éléments liés à l’armée rwandaise, l’ACP poursuit son travail sans interruption, dans un contexte marqué par l’incertitude et le danger.

Plus récemment, lors de la pandémie de COVID-19, l’ACP s’est à nouveau montrée résiliente. Elle a continué à publier des bulletins fiables en français et en anglais, tout en informant quotidiennement ses lecteurs via son site web régulièrement mis à jour et ses réseaux sociaux, confirmant sa capacité d’adaptation aux canaux numériques.

Une mémoire vivante à préserver, un cap à tracer

Avec le XXIe siècle, l’Agence congolaise de presse a pleinement amorcé sa transition numérique. En 2006, elle lance son site officiel (www.acp.cd), puis investit les réseaux sociaux dès 2022, diversifiant progressivement ses formats : vidéos, photographies, infographies, et vérification des faits (fact-checking).

Malgré les défis logistiques, la concurrence accrue des médias privés et la prolifération des fake news, l’ACP reste aujourd’hui le principal média public d’information en RDC. En 2023, sa couverture nationale rigoureuse des élections générales a été saluée pour son professionnalisme et sa régularité.

Depuis 65 ans, l’ACP est le miroir fidèle du Congo : témoin des crises, des exploits, des moments de fierté nationale comme des périodes d’épreuve. Pourtant, si l’agence reste un réservoir unique de la mémoire collective congolaise, son patrimoine archivistique est aujourd’hui gravement menacé.

Des milliers de documents papier, photographies, bulletins et manuscrits accumulés depuis 1960 risquent de disparaître, faute de conditions de conservation adéquates.

ACP/

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