Kinshasa, 16 fév.2022(ACP).-Le Pr John Pote de l’Université de Genève(UNIGE) et des facultés des sciences de l’Université de Kinshasa(UNIKIN) et de l’Université pédagogique nationale(UPN), a proposé au cours d’un entretien mercredi avec l’ACP, des stratégies pour une gestion durable des déchets solides urbains ainsi que pour la réussite de l’opération «Kin Bopeto».
Le Pr Pote a salué l’initiative de l’opération « Kin Bopeto » dont des partenariats ont été conclus avec des firmes pour booster l’assainissement dans la ville de Kinshasa.
Ingénieur civil en biotechnologie environnementale et chercheur au Centre de recherche en sciences humaines à Kinshasa (CRESH), le Pr Pote a souligné que la ville de Kinshasa en général et d’autres grandes villes de la RDC en particulier, comme notamment dans d’autres pays de l’Amérique latine et en Afrique sub-saharienne, se trouvent depuis ces trois dernières décennies submergées de dépôts anarchiques des déchets surtout au niveau des marchés et des quartiers populaires.
Ces ordures constituent un important facteur d’inondation, de pollution des cours d’eau, des odeurs désagréables , qui sont à la source de nombreuses maladies hydriques infectieuses et épidémiologiques comme diarrhée bacillaire, fièvre typhoïde, choléra, paludisme qui affectent régulièrement la population avec une importante perte humaine et financière , a-t-il dit .
« Je pense qu’avant de lancer l’ opération Kin Bopeto, les initiateurs ont pu faire un plan stratégique de la gestion des déchets urbains et assimilés à l’échelle d’une grande ville comme Kinshasa (plan d’action immédiate, à court, moyen et long terme). Sans cela, Kin Bopeto va aboutir à un échec comme de nombreux autres projets initiés et réalisés à Kinshasa, à l’instar des projets comme le Programme d’assainissement urbain de Kinshasa (PAUK) et le Projet de réhabilitation et aménagement urbain de Kinshasa (PARAU) financés par l’Union Européenne de l’ordre de plusieurs centaines de million de dollars », a affirmé le Pr Pote.
Plan stratégique de la gestion des déchets
Selon le Pr Pote , un plan stratégique de la gestion des déchets, devra d’abord tenir compte des composantes des déchets urbains qui sont la fraction solide (déchets solides ménagers et assimilés, déchets des marchés et des chantiers, et les déchets spéciaux des hôpitaux) et la fraction liquide (les effluents hospitaliers et industriels, et les eaux de ruissellement à partir des chaussés).
Gérer ces deux fractions, a-t-il estimé, revient à tenir compte de l’ensemble des opérations de production liée aux taux de génération des déchets, de précollecte liée au lieu de production vers le site intermédiaire.
Il est également question des opérations de la collecte liée au site intermédiaire vers la décharge, de la valorisation liée au recyclage et au traitement ainsi que d’entreposage pour la mise en décharge définitive.
Pour une meilleure gestion des déchets, il faut ainsi tenir généralement compte de plusieurs aspects liés à l’estimation de taux de génération ou de la production spécifique des déchets, le nombre de kg/jour/habitant, en fonction de la stratification de la ville (quartiers en haut, moyen et bas standing, marchés et espaces publiques) », a-t-il décrit.
Il a évoqué la nécessité de connaitre la typologie des composantes des déchets ou le pourcentage des déchets organiques, plastiques, papiers, ferrailles (métaux), piles, verres, vêtements et particules fines, à dégager dans le but de permettre une appréciation des possibilités de valorisation, traitement et d’élimination (recyclage, compostage, biométhanisation, incinération, décharge contrôlée), en ajoutant selon lui, les différentes analyses physicochimiques comme la densité pour connaitre le nombre de m3 des déchets/jour/hab), le pouvoir calorifique, l’humidité.
Estimation de coût de gestion des déchets
Le Pr Pote a évoqué l’estimation et l’optimisation de coût de gestion du plan stratégique de précollecte, de collecte et de valorisation des déchets pour au moins les deux premières années de la mise en œuvre.
« Nos estimations montrent qu’on a plus de 70% de la matière organique biodégradable susceptible d’être valorisée par les digesteurs, « aérobie (compostage) et anaérobie (bio méthanisation) », a-t-il dit, ajoutant que cette valorisation demande encore des opérations de tri à la source, mesures physicochimiques et surtout le dimensionnement des digesteurs en fonction de taux de génération des déchets.
Le Pr Pote a fait savoir que la mise en décharge est l’un des aspects importants pour la réussite de ce projet Kin Bopeto.
Pour moi, la décharge bioactive du Centre d’Enfouissement technique (CET)) de Mpasa, construite sur le sable avec une geomembranne très facilement dégradable, n’est pas appropriée comme nous l’avons démontré dans nos recherches réalisées et publiées récemment.
Le choix d’un autre site ou l’optimisation de CET est l’un des premiers aspects à tenir compte pour la réussite de Kin Bopeto.
Autrement ce n’est qu’un déplacement du problème d’un endroit à un autre, en rendant les rues et espaces publics éventuellement propres pour polluer le sol et l’environnement aquatique situés en dehors de la ville.
Ce qui pose plus de problème sanitaire, a-t-il expliqué, ce n’est pas la fraction solide visible, mais la dissémination des micropolluants organiques et inorganiques issues de la fraction solide et des effluents liquides.
Nécessité de la sensibilisation et de l’éducation de la population
Le Pr Pote a également évoqué la nécessité de la sensibilisation et de l’éducation de la population à tous les niveaux.
Dans l’étude réalisée par les chercheurs dans la commune de Bumbu par exemple, a dit le Pr Pote , un montant annuel de cinquante mille dollars américains (50.000 USD) est nécessaire pour les campagnes de sensibilisation et d’éducation en matière de la gestion des déchets solides et des effluents urbains dans cette commune.
Les initiateurs de cette opération , a-t-il fait savoir, ne devraient pas lancer les actions sans tenir compte de ces aspects financiers ,de taux de génération des déchets, de l’état de charroi automobile, des infrastructure dans les différentes communes, de mode d’évacuation des déchets, de recyclage, de traitement, de la sensibilisation ainsi que de la mise en décharge en fonction du poids et du volume des déchets.
Il a aussi relevé les études qu’il avait réalisées en 1999 dans la commune de Masina à Kinshasa, financées par le Canton de Genève en Suisse, qui avaient montré que le taux de production des déchets dans cette commune est en moyenne « 0.36-0.51 kg/hab/j » en fonction de la stratification de la commune.
L’intervenant a aussi fait allusion à la nécessité d’un cadre législatif solide pour commencer cette opération, car on ne peut jamais réussir à gérer les déchets sans une loi sur la gestion des déchets (LGD).
La LGD permettra à définir d’abord le terme déchet dans le contexte de Kin Bopeto, et surtout l’élaboration des lois régissant les responsabilités et les obligations de tous les acteurs en matière de la gestion des déchets et de cette opération Kin Bopeto.
Une technologie appropriée à ajouter pour la réussite de projet Kin Bopeto
Le Pr Pote a évoqué une thèse de doctorat en cours sur cette matière, dans le cadre de collaboration entre l’Université de Genève, l’UNIKIN et l’UPN, financée par la coopération Suisse depuis 2016.
Cette recherche doctorale, propose une approche participative basée sur l’outil Mapping/Crow Sourcing.
Cette approche technologique appropriée et adaptée pour la gestion des déchets solides urbains et assimilés au contexte d’une ville comme Kinshasa, a-t-il dit , est connue pour sa belle réussite dans plusieurs villes européennes, africaines et sud-américaines.
« Nous avons développé des logiciels de télédétection des décharges sauvages en temps réel à l’aide de téléphone mobile dont chaque habitant de la ville peut faire parvenir en temps réel via son téléphone mobile, la localisation (GPS) d’une décharge sauvage indiquant son volume, type des déchets et sa position géographique », a-t-il surenchéri.
Cet outil tient aussi compte des aspects du plan stratégique de la gestion des déchets. Cette recherche doctorale a commencé avant l’opération Kin Bopeto, réaffirmant sa disponibilité comme chercheur, homme des sciences à partager et à apporter son expertise, et surtout ses expériences pour la réussite de Kin Bopeto s’ils sont intéressés.
La gestion des déchets au niveau du marché central de Kinshasa (Zando)
Selon le Pr John Pote, le marché est considéré comme un des endroits dont le taux de génération des déchets solides est plus élevé.
Il s’est dit être curieux de voir la modélisation et la simulation du système de gestion des déchets pour Zando avant sa rénovation.
« Je pense dans le plan de rénovation, ils ont bien mis le modèle de gestion des déchets qui tient compte des tests de routage, volume et emplacement des containers, fréquence d’évacuation des déchets, gestion des effluents de lavage du marché, etc », a-t-il estimé.
Au vu de son expérience dans les grandes villes africaines et sud-américaines, ce sont des aspects à mettre en place, dimensionner et optimiser.
Toutefois, cela dépend de la volonté politique pour l’expertise des spécialistes. « Nous sommes des enseignants des Universités, nous ne serons jamais là pour demander des postes auprès des acteurs de Kin Bopeto. A part ma mission d’enseignement et de recherche, l’Université a aussi des obligations pour le service à la cité. C’est dans ce contexte que nous pourrions bien apporter notre contribution pour la réussite de cette opération comme spécialiste», a-t-il conclu. ACP/