Kinshasa, 09 mars 2022 (ACP).- Les violences sexuelles en milieu socio-professionnel, plus précisément à l’endroit des vendeuses ambulantes, constituent à la fois un problème de santé publique et une violation des droits des femmes et des filles que la majorité de la population de Kinshasa ignorent.
Et pourtant, de nombreuses vendeuses ambulantes de Kinshasa sont des victimes silencieuses du viol. Dans l’exercice de leur petit commerce au quotidien en allant d’une rue à une autre et d’une parcelle à une autre, des vendeuses ambulantes tombent parfois entre les mains des violeurs qui se font passer avec ruse pour des clients.
Mme Nael, vendeuse ambulante des légumes dans la commune de Ngaliema a confié que sa fille qui exerce la même activité a été victime du viol à l’âge de 17 ans au quartier Ma campagne dans la même commune.
« Deux jeunes gens l’ont entraîné dans une parcelle isolée, prétextant que leur mère malade voulait acheter sa marchandise. Une fois à l’intérieur, les deux jeunes hommes l’ont violée et lui ont ordonnée de ne le dire à personne, sinon ils la tueront », a-t-elle révélé.
« J’ai remarqué chez ma fille un changement de comportement et une tristesse intense. Nous avons dû la forcer, allant même jusqu’à la frapper pour qu’elle se confie enfin », a souligné cette mère.
« Faute de moyens, mon mari a dû accepter un arrangement à l’amiable avec la famille des auteurs du viol et nous avons envoyé l’enfant au village auprès de ma sœur pour lui éviter des préjugés et la stigmatisation », a-t-elle indiqué.
Maitre Mike Luzolo, avocat et acteur social au sein de la Fondation « Nellya Pembele» affirme que le viol est un frein au développement de la femme et la loi condamne les auteurs à une peine maximale de 20 ans de prison avec des dommages à payer, selon la loi de 2006 sur les violences sexuelles.
«La plupart des vendeuses ambulantes victimes de harcèlements ou des violences sexuelles gardent leur histoire secrète et vivent dans la peur et le désespoir à cause des préjugés et des pesanteurs sociales. C’est pourquoi certaines organisations accompagnent les victimes en leur offrant un soutien moral, psychologique, judiciaire et financier afin que justice leur soit rendue », a-t-il affirmé.
Bien que certaines ONG proposent une assistance juridique et judiciaire gratuite, ces programmes ne peuvent malheureusement pas satisfaire tous les besoins des victimes, a déploré Me Luzolo.
«De nombreux cas de violences sexuelles font l’objet des règlements à l’amiable souvent perçus comme plus efficace qu’une procédure judiciaire. Ces mécanismes ne tiennent, cependant, pas compte de l’intérêt de la victime. Des agents de la Police nationale congolaise (PNC) et des autorités judiciaires encouragent parfois les victimes à régler l’affaire à l’amiable, même si l’auteur est un agent de l’État. Dans ce scénario, c’est généralement le chef de la famille de la victime et celui de l’auteur qui concluent l’arrangement à l’amiable en écartant ainsi la victime du processus », fait-il remarquer.
Les principaux obstacles à l’accès à la justice pour les victimes des viols
Mme Elsa Indombe, experte en questions de genre et directrice exécutive de l’Union congolaise des femmes des médias (UCOFEM) en charge des opérations, soutient que le viol des vendeuses ambulantes est une réalité quotidienne à Kinshasa.
L’UCOFEM, avec l’appui de ses partenaires, a mené une étude entre 2019 et 2020 qui a démontré qu’environ 10% de vendeuses ambulantes sont des victimes silencieuses des violences sexuelles. Malheureusement, déplore-t-elle, la majorité de ces victimes ne veulent pas dénoncer leurs bourreaux de peur que leur histoire soit connue des autres ; elles évitent aussi de dénoncer ces bourreaux par peur des représailles. D’autres, par contre, manquent de moyens pour saisir la justice.
Pour Mme Rose Masala, directrice nationale de l’UCOFEM, la lutte contre l’impunité des violences sexuelles requiert l’existence des institutions répressives avec les capacités et les ressources suffisantes. L’absence de prise en charge médicale et psychologique adéquate des victimes de viol et de mécanismes de réparation constitue un obstacle, indique-t-elle.
«Avec la proposition de loi portant exemption des victimes de violences sexuelles des frais de justice, déposée le 28 janvier au Parlement à l’initiative des organisations de la société civile, nous allons travailler d’arrache-pied à travers des plaidoyers auprès des autorités congolaises afin de nous assurer que cette loi soit adoptée au niveau de l’Assemblée nationale », a indiqué la directrice nationale de l’UCOFEM.
Interrogé par l’ACP, Roger Kalama, officier de police judiciaire (OPJ) du sous-commissariat de la police de « Penepene» au quartier CAC (cité des anciens combattants), dans la commune de Ngaliema à Kinshasa, a déclaré que les violences sexuelles à l’endroit des vendeuses ambulantes sont une réalité. Toutefois, la Police nationale congolaise a le devoir et l’obligation de protéger les victimes. Pour cela, il faut que ces dernières dénoncent ce fléau en vue de permettre à la Police de mettre la main sur les auteurs des viols.
Cette enquête a été réalisée avec l’appui de l’ONG internationale «Journalists for humain right» (JHR) dans son programme « Canada monde, la voix de la femme et de la jeune fille ». ACP/Kayu/GGK/KMT/OB