Kinshasa, 24, juin 2025 (ACP).- La prolongation de la suspension temporaire de l’exportation du cobalt de la République démocratique du Congo est une opportunité pour reconfigurer les rapports de force dans la chaîne de valeur, promouvoir la traçabilité des minerais stratégiques et encourager la transformation locale, a indiqué mardi dans un entretien un économiste.
«La décision du gouvernement de prolonger la suspension temporaire de l’exportation du cobalt brut est une opportunité pour reconfigurer les rapports de force dans la chaîne de valeur, de promouvoir la traçabilité des minerais stratégiques et d’encourager la transformation locale afin de favoriser la création de la valeur ajoutée au bénéfice du peuple congolais. Le monde n’a pas tant besoin d’un simple producteur et exportateur du cobalt, que d’une chaîne d’approvisionnement fiable, résiliente et traçable», a déclaré Jonathan Muya, doctorant en économie à l’Université de Kinshasa (Unikin).
Selon lui, le cobalt, une matière première hautement stratégique pour la fabrication des batteries lithium-ion et des véhicules électriques, place la République démocratique du Congo dans une position de producteur incontournable représentant plus de 70% de la production mondiale. Pourtant, cette suprématie minérale ne s’est pas traduite par un pouvoir d’influence économique équivalent sur la scène mondiale, a-t-il dit.
«Cette contradiction apparente s’explique par la nature fragmentée et asymétrique des chaînes de valeur du cobalt. En effet, si la RDC fournit la matière brute, la transformation et la certification des dérivés (hydroxyde, sulfate, cathodes) se fait essentiellement hors de ses frontières, notamment en Chine», a-t-il fait remarquer.
M. Jonathan Muya a précisé que la Chine en dominant les étapes intermédiaires de transformation, parvient non seulement à capter la majorité des marges de valeur ajoutée, mais aussi à réguler l’approvisionnement global par une capacité d’absorption et de stockage stratégique. Dans ce contexte, toute suspension unilatérale des exportations congolaises peut être compensée à court terme par les stocks chinois, affaiblissant ainsi l’effet de levier attendu.
«Sur le plan interne, les finances publiques congolaises se sont, jusqu’à présent, comportées de manière relativement stable. Les données récentes indiquent une légère baisse des recettes de la DGRAD, mais l’impact global demeure contenu. Il reste cependant à observer si cette tendance pourra se maintenir dans les mois à venir, notamment si la suspension prolongée devait affecter les flux fiscaux liés à l’activité minière», a-t-il ajouté avant de souligner que pour asseoir ce poids stratégique, la RDC doit investir dans l’instauration de véritables chaînes de valeur et d’approvisionnement à l’intérieur de son territoire.
Cela implique notamment le renforcement de la logistique nationale par des projets structurants tels que le port en eau profonde de Banana, qui offrirait une sortie maritime directe, et la mise en place d’un corridor national sécurisé pour le transport des matières premières stratégiques.
Pour lui, ce corridor viendrait en complément des initiatives régionales déjà en cours comme le corridor du Lobito, la modernisation de la route-rail Kinshasa-Brazzaville, ou encore l’intégration à des projets internationaux tels que la “Route de la Soie numérique” via le corridor Tanzanie-Zambie-Katanga.
«Le renforcement des infrastructures logistiques, couplé à une stratégie diplomatique offensive, permettra à la RDC de se repositionner non pas comme simple fournisseur, mais comme acteur structurant d’un marché mondial en transition énergétique», a-t-il dit.
En somme, si la RDC veut transformer sa rente géologique en puissance économique durable, elle devra aller au-delà des mesures ponctuelles de suspension d’exportation. Il s’agira de mettre en place une politique industrielle intégrée, capable de valoriser localement les ressources, de sécuriser les flux et de renforcer sa voix dans les concertations internationales autour des chaînes stratégiques. ACP/ODM