Kinshasa, 16 avril 2023 (ACP).- La stabilité du cadre macroéconomique de la République démocratique du Congo a été abordée samedi par l’économiste Congolais, et ancien directeur résident de la Banque mondiale, le professeur Noël Tshiani Mwadiamvita, dans une interview exclusive accordée à l’Agence congolaise de presse (ACP).
Question 1 : M. Noël Tshiani Mwadiamvita, les Congolais et la communauté international reconnaissent en vous des compétences en matières économique et monétaire. Alors que la République démocratique du Congo reste confrontée à un problème crucial de la stabilité de son économie. Vous, en tant qu’expert du domaine, quelle lecture faites-vous de l’économie de la RDC en général et de son cadre macroéconomique en particulier ?
Noël Tshiani : « Effectivement, l’économie de la RDC est une grande préoccupation pour le pays, mais également pour le peuple Congolais. Il faut dire que malgré l’abondance des ressources naturelles, le Congolais ne jouit pas des richesses de son pays. Le pouvoir d’achat s’est érodé considérablement au point où aujourd’hui, le Congo est classé parmi les pays les plus pauvres de la planète.
L’indice du développement publié par les Nations Unies, la République démocratique du Congo est classée 224ème sur 226 pays, avec un Produit intérieur brut (PIB) par habitant d’environ 458 dollars. Le pays qui a le PIB le plus élevé a, environ 140.000 dollars. La République démocratique du Congo est le dernier pays de la terre au point où 90% de sa population vit non seulement dans la pauvreté mais également dans le chômage. Ce qui veut dire que tout le pays est pratiquement au chômage et 10% des gens qu’on estime avoir du travail sont les fonctionnaires de l’Etat qui vont dans des bureaux où ils ne travaillent même pas. Donc c’est une situation à l’agonique, une situation catastrophique.
Le cadre macroéconomique a démontré depuis un certain nombre d’années qu’il est très instable. Quand on parle du cadre macroéconomique, on voit la stabilité des prix, le niveau du budget, du déficit budgétaire ou de l’excédent budgétaire et le niveau de l’inflation.
Cette dernière, il faut l’évaluer dans le long terme, pas simplement pendant un ou deux mois. Depuis qu’on a lancé le franc congolais depuis 1998, on peut dire que la monnaie congolaise s’est dépréciée de près de 200.000 %. En juin exactement, 1 dollars achetait 1,3 francs congolais. Aujourd’hui, 1 dollars achète 2.300FC, prenez 1/2.300FC, vous allez trouver 0,000.434. C’est ça la valeur réelle du franc congolais.
Et on est arrivé là justement à cause du taux d’inflation extrêmement élevé. « On a connu pendant toute cette période-là, des taux d’inflation qui envoisinaient par an 520% ».
Quelle est la conséquence de tout ça, c’est que le peuple Congolais qui a vu que sa monnaie ne gardait pas la valeur, l’a jeté dans la rue et a embrassé une monnaie étrangère qu’on estime être plus stable que le FC qui est le dollar américain. « C’est ce qu’on appelle phénomène de la dollarisation…..».
Aujourd’hui, 95% de l’économie congolaise est dollarisée. Ça veut dire que l’économie que nous contrôlons là en FC ne représente plus que 5% du total. Par conséquent, toutes les politiques que la Banque centrale est supposée concevoir et mettre en œuvre ne donnent pas des résultats ce, parce que des politiques conçues s’appliquent sur 5% de la masse monétaire alors que 95% échappent. « D’où moi, je peux conclure que la situation économique de notre pays est catastrophique. La conséquence de cette situation économique catastrophique est que, la situation sociale de la population est très misérable……. »
Question 2 : Qu’est-ce qu’il faut, selon vous, pour stabiliser le cadre macroéconomique de notre pays et par ricochet, améliorer la vie quotidienne de la population ?
Noël Tshiani : « moi je pense que, pour arriver à stabiliser le cadre macroéconomique et améliorer la vie quotidienne de la population, le Congo n’est pas seul sur la planète, il faut appliquer la politique que d’autres pays ont mise en place. Pour en arriver, il faut avoir une bonne cohérence entre la politique budgétaire, économique et monétaire du pays.
« Cela veut dire que la politique budgétaire, économique et fiscale est conduite par le gouvernement, et la politique monétaire est l’œuvre de la Banque centrale du Congo. Il faut que ces politiques arrivent à coordonner leurs actions de façon responsable, donc respecter les principes fondamentaux de gouvernance économique du pays……. ».
Qu’est-ce que je veux dire par là, le gouvernement se doit dépenser que ce qu’il a réalisé. Quand on a un budget de 16 milliards de dollars, il faut que ce budget-là soit réaliste, qu’il reflète la vérité, c’est-à-dire que quand on a un budget, on regarde d’un côté les ressources publiques et de l’autre côté les dépenses publiques. Mais est-ce que notre budget est vraiment réaliste. C’est ça la véritable question.
J’ai vu que l’année dernière s’est soldée par un déficit budgétaire de plus d’un milliard de dollars, c’est-à-dire qu’on avait surestimé les recettes publiques par rapport aux dépenses publiques et on a fini par dépenser plus d’argent qu’on avait dans les caisses de l’Etat d’où le déficit budgétaire.
Le mécanisme à utiliser pour combler ces déficits c’est de faire recours à la Banque centrale qui allume sa machine, qu’on appelle planche à billets qui fabrique l’argent en désordre et en conséquence, on a trop des FC qui ne sont pas soutenu par un matelas de devise pour qu’il y ait stabilité.
« Cette incohérence entre la politique budgétaire économique du gouvernement et la politique monétaire de la Banque centrale du Congo est à la base de l’instabilité du cadre macroéconomique qui provient de cette incohérence. On a commencé l’année 2023 dès le premier mois, par les dépenses publiques qui étaient de l’ordre de 725 millions de dollars et les recettes publiques de l’ordre de 500 millions de dollars. En conséquence, il y a un déficit déjà de 225 millions dès le mois de janvier 2023, et ce déficit là on le finance comment…….. ».
Ils peuvent utiliser toutes les gymnastiques qu’ils veulent mais à la fin, on finance le déficit en faisant recours à la planche à billets. D’où on a vu depuis la fin de l’année 2022 jusqu’aujourd’hui, il y a une grande instabilité sur le marché de change, on voit les taux de change qui sont passés de 2.050 ou 2.100 à 2.300 ou 2.350 FC. « Il faut revenir à l’orthodoxie financière, respecter les règles du jeu, donner à la Banque centrale du Congo l’indépendance. L’indépendance n’est pas seulement sur papier, il faut qu’on sente que la Banque centrale est capable de dire non au gouvernement lorsque cela est nécessaire…. ».
Il faut également penser à réorganiser la Banque centrale, la restructurer et voir en face ce que nous avons comme répondant, le système bancaire congolais. Ce dernier n’existe pas. Nous avons à peu près 15 banques étrangères, ce pays ne va pas avoir des conditions idoines pour améliorer le pouvoir d’achat de la population, si on ne change pas la structure et le fonctionnement du système financier.
« Je milite pour qu’il y ait des banques congolaises tenues par des Congolais, c’est-à-dire quand je dis Congolais, ce sont des banques où il y a le partenariat non seulement des privés Congolais, ou des entreprises privées congolaises, mais il peut y avoir aussi une combinaison de ces privées avec l’Etat. L’État doit jouer le rôle de catalyseur, et non dire simplement qu’on laisse le secteur privé opérer comme il veut….. »
On doit repenser la structure et le fonctionnement du système financier pour faire entrer les Congolais dans les capitaux. Moi qui vous parle, j’ai contacté deux banques ici et je leur avais dit que je voulais devenir actionnaire. Ils m’ont dit que c’est une banque familiale, nous sommes venus ici depuis le 18ème siècle et on n’a pas besoin d’avoir des nouveaux actionnaires. Vous êtes des banques étrangères, il y a des Congolais qui veulent se mettre ensemble avec vous pour travailler et vous refusé ? C’est là que l’Etat doit pouvoir intervenir. « C’est ça que j’appelle avoir une vision et une véritable politique monétaire qui peut changer la donne. Au-delà de cela, j’estime qu’il faut mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Quand j’attends des détournements des fonds publics qui sont opérés dans mon pays, je me dis qu’on a le système de justice qui fonctionne ou pas ? Il faut arriver à mettre la main sur ceux qui détournent le fonds public, qui amènent ce système de mauvaise gouvernance, les mettre devant la barre et les condamner ….. »
Et enfin, il faut relancer les activités du secteur privé, et tant qu’il n’y a pas une économie qui tourne, on ne peut pas avoir une monnaie stable. La stabilité du cadre macroéconomique c’est lorsqu’on va avoir une économie qui produit, qui exporte, qui gagne de l’argent et qui crée des opportunités pour le peuple congolais. « Donc en grosso modo », voilà ce que je peux proposer. Il nous faut doter le Congo d’une véritable vision de développement. Moi je vous ai proposé ce qu’on appelle le Plan Marshall de Noël Tshiani pour le développement de la RDC…..
Question 3: Quelles sont les perspectives économiques que vous jugez nécessaires qui ne sont pas encore mises en œuvre par le gouvernement ?
Noël Tshiani : « Je propose simplement qu’il revienne de doter le Congo d’une vision de développement. Moi je vous ai dit toute à l’heure-là que le Plan Marshall est une vision de développement qui a été conçu avec la meilleure expertise possible. Je l’ai conçu quand j’étais encore à la Banque mondiale à Washington. Je suis venu au Congo ça fait pratiquement 5 ans maintenant. Je l’ai actualisé en étant sur le terrain, en tenant compte des réalités du terrain. Je voudrais inviter tout le monde à venir autour de cette vision pour qu’on puisse la critiquer, l’améliorer et qu’on puisse la transformer à une véritable bible de développement. Une fois que nous avons ça, nous allons nous mettre au travail pour la mettre en œuvre pendant les 15 prochaines années parce qu’une vision de développement doit aller au-delà des mandats présidentiels. Moi j’ai estimé qu’il nous faut une vision pour 15 ans, et au bout des 15 ans, on va évaluer et faire une autre vision pour 15 ans, c’est comme ça que le pays avance. Alors je suis disponible pour aider tout le monde qui veut connaître cette vision-là. J’organise des conférences pour que les gens viennent critiquer, participer et je pense que si nous nous mettons ensemble et qu’on arrive à la peaufiner pour qu’elle devienne cette bible-là reconnue et acceptée par tout le peuple congolais, ça sera un point de départ pour le développement accéléré de la République démocratique du Congo ».
ACP/ C.L