Kinshasa, 22 janvier 2025 (ACP).- Depuis près de deux décennies, le processus de réforme de la Police nationale en République démocratique du Congo se heurte à plusieurs défis qui empêchent son aboutissement heureux, alors que cette institution devrait constituer un véritable fer de lance de la paix sociale et de la sécurité des personnes et de leurs biens.
Outre quelques avancées en matière de formation, cadre légal et dans l’amélioration des relations entre les policiers et la population, le processus est confronté à certains défis majeurs. Parmi ces derniers, l’on peut citer l’insuffisance des ressources budgétaires affectées à la Police nationale congolaise (PNC), la faible appropriation de la réforme par la hiérarchie policière, les policiers eux-mêmes, la population ainsi que les médias congolais, l’inachèvement du cadre légal (non-signature de certains textes d’application des lois promulguées), la faible implication des parlementaires, etc.
Dans le souci de sensibiliser et surtout d’informer suffisamment la population autour de cette question, les médias, en collaboration avec la police, devraient jouer un rôle capital afin de délivrer la bonne information et d’éviter des incompréhensions qui, souvent, alimentent les rumeurs.
Dans le cadre de cette dynamique de changement, plusieurs professionnels des médias affirment avoir déjà réalisé soit un reportage, un article de presse ou une émission relative au secteur de la sécurité, mais ne maitrisent pas suffisamment le processus et restent souvent bloqués, sans possibilité d’approfondir le sujet, à la suite notamment de l’accès difficile à l’information. Ce qui entraîne par conséquent un désintéressement et une démotivation quant à l’accompagnement de ce processus.
Selon Jacques Diku, journaliste à Kyria Média Chanel (KMC), l’on a l’impression que ce processus de la réforme de la police se fait à circuit fermé. « L’accès est difficile à l’information relative à la question sécuritaire ou de la réforme de la police. On en fait une question de souveraineté », a-t-il affirmé.
D’après Chanchan Mutupa, journaliste à Educ Télévision (Educ TV), la faible appropriation de la réforme par les medias se justifie sur le fait que la presse n’est pas suffisamment mobilisée. « J’ai l’impression que c’est seulement une poignée des journalistes et médias qui sont associés à la couverture des activités liées à la vulgarisation de ladite réforme », a-t-il souligné.
Pour une réforme réussie, les médias doivent jouer un rôle incontournable

La journaliste Damaris Kayembe de Télé 50
Taty Dilengendju, journaliste à la radio Okapi, estime que les médias congolais doivent jouer un rôle incontournable pour la réussite de la réforme de la PNC en RDC. « Les médias ont un rôle capital à jouer dans le processus de la réforme de la PNC, eu égard à leurs fonctions sociales : former et informer un public hétérogène et anonyme. Son pouvoir d’ubiquité va sans conteste, assurer une excellente vulgarisation et appropriation par les agents de la PNC, y compris de la population censée bénéficier de l’objectif prioritaire de la PNC à savoir : assurer la sécurité des personnes et de leurs biens », a-t-il précisé.
Pour sa part, Jacques Diku a fait savoir que les médias congolais devraient être des partenaires non négligeables dans le processus de réforme de la police car, la sécurité est d’abord une question de sensibilisation. « Il faut, par conséquent, un contact direct avec la population pour une meilleure collaboration avec la police. Cette pédagogie ne peut se faire sans l’apport des médias », a renchéri M. Diku.
De l’avis de Damaris Kayembe, journaliste à Télé 50, les médias sont un meilleur canal de sensibilisation qui touche un grand public. À travers son rôle et ses investigations, la presse peut porter la voix au plus haut niveau pour trouver des solutions idoines.
Des avis partagés autour de la place qu’occupent les sujets de la réforme au sein des rédactions

Le journaliste Jacques Diku de KMC
S’agissant de cette question, Jacques Diku affirme que c’est une question de sang froid de la rédaction ou du journaliste pour aligner un tel sujet. « Souvent, on s’attache aux protocolaires sur les activités de la police (parades, patrouilles…) ou des faits de société (Kuluna, intervention de la police…), mais rarement des informations nourries, approfondies sur la réforme de la police notamment, faute des personnes ressources disponibles, des matériaux nécessaires nonobstant ce besoin et devoir d’informer l’opinion publique », a-t-il dit.
À Télé 50 par exemple, c’est une question de choix du reporter, a indiqué Damaris. Tandis que chez Educ TV, ce sujet ne fait pas large écho. « Je ne sais le classer. Mais en tout cas pas en pole position du fait que mon media n’est pas associé », a déclaré Chanchan Mutupa.
Ce qui est contraire au sein de la rédaction de la radio Okapi. Selon Taty Dilengendju, les sujets relatifs à la réforme du secteur de la sécurité et celle de la Police en particulier, occupent une place de choix. « Les sujets relatifs à la réforme de la PNC occupent une place de choix par rapport à notre mandat. Etant un media de la Monusco, ces projets de réformes se font en collaboration avec la mission de consolidation de la paix, par ricochet, Okapi Service accompagne ce processus dans nos différentes émissions », a-t-il précisé.
Au regard des avis émis par les journalistes, la rédaction de l’Agence congolaise de presse a tenté de joindre en vain la Police pour un droit de réponse.
En définitive, la relation entre les médias et les agences de sécurité, y compris les autorités policières et les services de renseignement, a toujours été sensible. Cette relation est souvent caractérisée par des conflits fréquents qui résultent d’une incapacité assez étonnante des deux parties de comprendre le rôle de l’autre dans la société, notamment dans un contexte de gouvernance démocratique.
Au regard de ce qui précède, il ressort le constat selon lequel les médias congolais ont du mal à accompagner le processus de la réforme en cours à cause de plusieurs raisons. Il s’agit entre autres, de l’accès difficile à l’information et aux sources d’informations les empêchant de couvrir des activités ou d’approfondir des recherches, le mauvais traitement de certains policiers à l’endroit des journalistes, les arrestations arbitraires, le manque de considération, etc.
Il faudrait, par conséquent, redynamiser le partenariat entre la police et la presse en passant par l’adoption de bonnes pratiques concernant la couverture des manifestations publiques ou de toutes autres activités liées à la réforme. Ces bonnes pratiques visent à promouvoir un journalisme respectueux des impératifs du maintien de l’ordre public d’une part et d’autre part, à sécuriser les journalistes par le biais d’un engagement solennel de la police; à leur garantir la pleine jouissance de leur liberté de collecte des informations sur un terrain.
En outre, il faudrait que la Police crée un cadre de dialogue et surtout de formation des journalistes sur les questions relatives à la gouvernance du secteur de sécurité particulièrement celle de la Police, afin de favoriser un traitement professionnel des informations tout en évitant les dérapages. Ce rapprochement de la police envers les journalistes pourra créer une émulation positive et leur permettra ainsi, d’accompagner sans condition la réforme en cours.
« Cette publication a été réalisée grâce au soutien du PARP III financé par l’Union européenne, dans le cadre de son partenariat avec les médias. Les analyses et conclusions qui s’y trouvent engagent leurs auteurs et ne reflètent ni le point de vue du PARP III, ni celui de l’Union européenne ».