Kinshasa, 31 Mars 2024 (ACP).- A l’inauguration du grand bâtiment de l’Institut national pour aveugles de Mont-Ngafula (INAVEM) à Kinshasa, un homme était au centre de toutes les petites attentions. Sur ses épaules, pèsent des charges énormes d’administration et de gestion. Il coordonne toutes les activités qui se déroulent sur ce lieu où vivent et travaillent plus de cinq cents personnes. Il est le préfet des études de cet institut de 31 classes, qui compte 368 élèves dont 13 mal voyants et aveugles.
Dans son bureau de travail, il se meut aisément, gère les dossiers les plus urgents, tient des réunions pédagogiques, classe et consulte des dossiers administratifs, répond aux appels téléphoniques, appelle ses proches collaborateurs chacun par son nom, dispose lui-même des chaises pour accueillir ses visiteurs. Il a une mémoire d’éléphant, infaillible. Parlez-lui une fois, et il vous identifiera beaucoup plus tard, rien qu’au timbre de votre voix. De sa voix chaude et de son regard pénétrant, découle une autorité forte, saine et naturelle.
Cet homme s’appelle Mulumba Wa Mulumba Jean, intimement appelé « coordon ». Il est aveugle. Il est né aveugle, le 31 décembre 1968 à Lubumbashi, actuel chef-lieu de la province du Haut-Katanga. Il est marié et père de huit enfants.
Tous les honneurs lui reviennent pour son « esprit managérial » qui a ressuscité de ses décombres cet inestimable héritage légué par Madame Marie-Antoinette Mobutu aux aveugles de toute l’Afrique centrale et, donc, de la République démocratique du Congo (RDC).
Il en est un des premiers bénéficiaires. Après ses débuts scolaires à l’Institut Nuru et au collège Imara (dans le centre d’intégration scolaire) de Lubumbashi, il obtient, son diplôme d’Etat en pédagogie générale à l’Institut Mama Mobutu pour aveugles à Kinshasa. Il y est retenu comme encadreur des élèves aveugles congolais et étrangers.
C’est cette Fondation qui l’envoie en Tunisie pour y poursuivre une « éducation spéciale ». De retour au pays, il décroche une licence en pédagogie scolaire en 2001 à l’Université de Kinshasa.
Pendant dix-huit ans, il enseigne la psychopédagogie à l’Institut des aveugles de la Gombe. Promu préfet des études à l’INAVEM et nommé coordonnateur de toutes les activités sur ce site, en 2006, il entame des recherches postuniversitaires et obtient un diplôme d’études approfondies (DEA) à l’Université nationale pédagogique (UPN) en 2021. Il clame, à haute voix, sa montée sur l’échelle du savoir : « Je suis le premier aveugle universitaire de toute l’Afrique centrale ». Il refuse d’arrêter son ascension à ce niveau. Il prépare une thèse de doctorat et appelle, la main sur le cœur, « les gens de bonne volonté » à l’accompagner sur cette voie de l’élitisme.
Sur le terrain, il affirme et affine sa vision, celle de voir les enfants aveugles, mal voyants, albinos, vulnérables, grandir, étudier et s’épanouir comme les autres enfants dits « normaux ». C’est le fameux « enseignement inclusif » qui regroupe et encadre tous les enfants, quels que soient leurs handicaps visuels ou physiques, leur précarité sociale ou matérielle, la couleur de leur peau.
A l’INAVEM, chaque élève aveugle ou mal voyant est assisté par un encadreur spécialisé ou maitre de soutien. Les yeux du cœur émerveillent. ACP/