Kinshasa, 22 février 2024 (ACP).- L’exploitation de la diversité linguistique congolaise est une exigence pour son développement, a-t-on appris, d’un expert congolais linguiste, au cours d’un entretien mercredi, à Kinshasa en République démocratique du Congo (RDC).
« Nous qui avons étudié la linguistique africaine et congolaise puis avons poursuivi des recherches en Sciences du langage, sommes très fiers de la diversité linguistique congolaise qui doit être exploitée pour le bien donc le développement de la République démocratique du Congo », a déclaré Dely Kamoka Kuta, Professeur, Docteur en Lettres et civilisation françaises et en Sciences du langage et communication (l’UPN-IFASIC) à l’occasion de la célébration de la Journée internationale des langues.
Selon lui, une bonne conservation des langues nationales congolaises est souhaitée parce que certaines tendent à disparaître, étant donné qu’elles ont de moins en moins des locuteurs. Les statistiques congolaises des locuteurs des quatre langues nationales se distribuent selon les provinces: le Kikongo est pratiqué dans le Kongo Central et le Bandundu. Le Tshiluba est parlé dans les deux Kasaï. Le Swahili est la langue nationale des provinces du Katanga, du Grand-Kivu, de la province orientale. Le Lingala est finalement parti de l’Equateur pour être parlé presque dans toute la RDC. A ces quatre langues dites nationales s’ajoutent les langues proprement maternelles parlées particulièrement dans chaque province. Ainsi certaines langues sont aussi transfrontalières telles que le Kiyombe et le Kikongo parlées aussi en Angola et au Congo Brazzaville. Le cokwe et le Ruund sont aussi parlées dans deux à trois autres pays frontaliers à la RDC.
Pour lui, en cette journée de célébration de la langue maternelle, il sied de retenir que la RDC compte plus au moins 265 langues dites «maternelles», c’est-à-dire, la première langue apprise par chaque enfant, à sa naissance ou étymologiquement la langue de la mère. Cette langue n’est pas apprise, elle est acquise.
« Tout enfant s’approprie la première langue maternelle de manière inconsciente, parce qu’il n’apprend pas sa phonologie, sa morphologie, sa morphophonologie, sa sémantique, son intonation et autres caractéristiques linguistiques de cette langue de manière scientifique », a-t-il souligné.
La plupart des langues congolaises sont encore orales, c’est-à- dire non encore décrites scientifiquement (écrites).
Quant à la différence qui doit s’établir entre la langue et le dialecte, les linguistes sont unanimes, il n’existe pas d’un côté la « langue »et de l’autre « le dialecte » que les Colonisateurs distinguaient ainsi pour prétendre qu’un dialecte est une sous-langue.
Toute langue est un système d’expression qui naît, grandit, évolue, meurt dès que les locuteurs pour la pratiquer n’existent plus. Dans son évolution, la langue subit des modifications selon l’entourage où elle est parlée. Le Kimbala est parlé dans le Kwilu et le Kwango. Partout où le Kimbala est parlé, il côtoie d’autres langues qui lui font subir parfois une évolution tonale et lexicale.
Mais elle reste la même ainsi on a le Kimbala parlé dans le Gungu, dans le Kisunzu, dans le territoire de Bulungu, dans le Kolokoso et à Masi-Manimba.
Les langues maternelles exigées au début de l’apprentissage
Dans le processus d’apprentissage scolaire, en RDC, la loi prévoit que pendant les trois (3) premières années de l’école primaire, les apprentissages soient effectués en « langue maternelle ».
Mais des 265 langues du pays, quatre langues ont été retenues comme langues nationales.
C’est dans ces quatre langues nationales que s’effectuent les quatre premières années de scolarité : le Kikongo, le Tshiluba, le Lingala et le Swahili.
Le Français intervient de manière très formelle après ces trois premières années de l’école primaire.
Il convient de faire remarquer que cette organisation de l’apprentissage en « langues maternelles n’entame pas négativement l’apprentissage effectué en Français, langue d’administration et d’apprentissage à partir de la 4 ème année de l’école primaire ».
Cependant, dans les grandes villes du pays, et surtout dans les écoles privées, l’apprentissage en français débute parfois dès la première année de l’école primaire.
Et dans les écoles bilingues, l’anglais s’ajoute au français pour l’apprentissage dès l’école primaire. Tous ces aspects ont pour conséquence que certains enfants n’ont pas bénéficié d’apprentissage en « langue maternelle », stricto sensu.
Au fait, pour ces enfants, leurs langues maternelles paraissent être le Français, le Kikongo, le Swahili, le Tshiluba, le Lingala alors que les langues de leurs mamans peuvent être le Kisuku, le Kiyombe, le Kipende, le Kiboa, le Kipelende, le Kanyok et le kiyansi.
Il sied aussi de faire remarquer que beaucoup d’enfants congolais ne maîtrisent pas les langues de leurs parents, particulièrement ceux qui sont nés dans les grandes villes.
Toute langue a pour première fonction la « communication », ou l’échange des messages entre les membres d’une même communauté linguistique.
Disons enfin que les langues maternelles de la RDC sont la plupart bantu et sont parlées par les locuteurs regroupés en tribus (sociologiquement) ou en ethnies (ethnologiquement ou anthropologiquement), a conclu la source.
L’usage d’une langue officielle purement congolaise préconisé
La Corporation des linguistes en RDC (COLICO) a préconisé mercredi dans un communiqué, l’usage d’une nouvelle langue officielle purement congolaise issue de ses langues maternelles, au même titre que le Français, à l’occasion de la Journée internationale de la langue maternelle, célébrée le 21fevrier de chaque année.
« Avoir une langue officielle purement congolaise facilitera la communication, la compréhension au sein de nos communautés et y suscitera le patriotisme. « En ce qui concerne la RDC qui manque une langue officielle purement congolaise, la Colico à élaborer un projet à soumettre à l’Assemblée nationale », a-t-on lu dans le communiqué.
Selon Darius Nsay Ikwo, secrétaire général de la Colico, « la RDC a besoin d’une langue congolaise officielle au même titre que le français pour l’intercommunication, l’intercompréhension et le ciment du peuple congolais afin de pourfendre la trahison qui nous guette ».
La Colico, a en outre, souligné la différence entre la langue maternelle qui est la première qu’une personne découvre peu importe son origine, celle qui lui permet pour la toute première fois d’entrer en contact avec le monde d’une part, et de l’autre la langue tribale liée à l’appartenance tribale, à l’origine, aux ancêtres.
Ainsi, elle appelle le peuple congolais à revaloriser ses langues locales afin de combattre l’amnésie et la disparition de ses valeurs culturelles.
ACP/