Kinshasa, 06 juillet 2023 (ACP).- Le monde entier a célébré le premier samedi du mois de juillet de cette année, le 101ème anniversaire de la journée internationale des coopératives.
La République démocratique du Congo (RDC), notre pays n’a pas échappé à la règle quoi que sans éclat particulier, pour célébrer cette forme particulière d’entreprise sociale dite coopérative qui reste généralement sous exploitée, voire méconnue, délaissée ou mal promue par le pouvoir public.
Pourtant, une certaine opinion détenant le secret du secteur des coopératives considère celles-ci comme des meilleurs alliés pour réussir la revanche du sol sur le sous-sol.
C’est le cas de M. Don-Pierre Bembo, président du Conseil d’administration d’une coopérative d’exploitation minière œuvrant au pays, qui a même trouvé dommage que les coopératives agricoles et autres n’arrivent pas à émerger au pays.
Pour mieux l’exprimer, l’ACP a voulu s’entretenir avec ce connaisseur du domaine au cours de l’interview ci-après :
*Question 1 : Le monde entier a célébré le premier samedi du mois de juillet 2023, la 101ème édition de la journée internationale des coopératives. Pourquoi cette journée et c’est quoi une coopérative pendant que les sociétés coopératives existent déjà depuis belle lurette ?
*Don Bembo*: Une coopérative est une entreprise commune de personnes qui se regroupent volontairement dans le but de satisfaire leurs aspirations économiques, sociales et culturelles communes, grâce à une gestion démocratique et collective des ressources de l’entreprise. La société coopérative est donc une entité à capital et membres variables, dotée d’une personnalité juridique pleine, distincte de celle de ses membres. Elle fait l’objet d’une immatriculation et dispose d’organes de gestion et de contrôle. Toute coopérative partage et respecte les valeurs et principes coopératifs établis au niveau international. Ici en RDC, les coopératives agricoles sont les plus nombreuses. Pour avoir une capacité de négociation sur les marchés nationaux et mondiaux, nous devons mettre en commun nos avoirs et nos savoirs.
Quant à la question de savoir si ces sortes de sociétés existent depuis combien de siècles, je dirais que c’est depuis plus de 140 ans. L’Alliance coopérative internationale, fondée en 1985, a commencé à célébrer les coopératives en 1923, et à l’occasion du centenaire de l’Alliance coopérative internationale en 1995, l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé officiellement que la Journée internationale des coopératives soit célébrée le premier samedi du mois de juillet de chaque année.
*Question 2 : Chez nous, en RDC, pourtant, certaines personnes se montrent un peu sceptique à l’idée de création d’une ou des coopératives, arguant qu’il y a à ce sujet, beaucoup d’abus et de tricheries, qu’est-ce que vous en pensez ?
*Don Bembo* : Quand vous regardez l’historique des coopératives dans notre pays, on voit que ce sont les colons belges qui ont introduit le concept. Malheureusement, ils l’ont conçu avec une version tronquée, qui a déformé la coopérative en un outil qui devait servir le colonisateur et asseoir son pouvoir. C’était seulement une façon d’organiser les producteurs pour acheminer de façon ordonnée les produits agricoles vers les centres de traitement et d’exportation des colons. Mais les principes des coopératives tels que la démocratie, l’égalité, l’équité etc. ont tous été volontairement oubliés. Les agriculteurs étaient repoussés dans le rôle de fournisseur de matière première, sans aucune participation en aval des chaînes de valeur. Après l’indépendance, nous, congolais, malheureusement, nous avons continué sur cette mauvaise voie tracée par les colons. La plupart des coopératives ont été manipulées par des politiciens et des barons du régime, de la même façon que ceux-ci l’avaient observé chez les colons. Cela a sali gravement la renommée des vraies coopératives, et jusqu’aujourd’hui, de nombreuses personnes croient que coopératives égal exploitation et tricherie par des manipulateurs. Pourtant les choses ont bien changé. En 2010, l’Organisation en Afrique pour l’harmonisation du droit des affaires (OHADA), a adopté l’acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives. Comme notre pays est membre de l’OHADA, cet acte uniforme fait désormais partie également de l’arsenal juridique de la RDC. Les coopératives de la nouvelle génération, les vraies, sont en train de naître. Et c’est là que nos coopératives se heurtent à de nombreux problèmes.
*Question 3 : Qu’est-ce que l’Etat congolais devrait faire, à votre avis?
*Don Bembo*: Tout d’abord, commencer par mettre en œuvre l’acte uniforme de l’OHADA relatif au droit des sociétés coopératives notamment, par la mise en place du Registre des coopératives sur l’ensemble du territoire de la RDC. Cet acte a été adopté en 2010 et 12 ans plus tard, il n’a toujours pas été mis en œuvre. L’acte uniforme de l’OHADA relatif au droit des sociétés commerciales, par contre, a été adopté en 2014 et la mise en œuvre a suivi immédiatement. Pourquoi les sociétés coopératives ne sont-elles pas traitées avec le même respect que les sociétés privées? Alors que potentiellement elles peuvent changer la vie de beaucoup plus des congolais? La reconnaissance entière du statut de coopérative serait déjà un grand pas en avant.
Ensuite, la reconnaissance de ce statut particulier de coopérative implique aussi la reconnaissance que les coopératives sont des entreprises avec non seulement un but lucratif mais aussi un but social. Cela veut dire que les coopératives contribuent au bien-être des communautés aussi, pas seulement aux intérêts privés de leurs membres. Cela justifie la mise en place d’un régime fiscal beaucoup plus clément, puisque les coopératives investissent déjà directement dans la communauté sans passer par la fiscalité, ce qui est même plus efficace. Réduire la pression fiscale pour les coopératives serait une forme de reconnaissance de leur double mission, un encouragement pour leur multiplication et augmenterait leurs moyens pour investir dans les communautés.
Enfin, la nature spécifique des coopératives et leur vaste potentiel économique justifie que notre gouvernement mette en place une politique nationale d’appui aux coopératives. Les pays avec le mouvement coopératif le plus fort sont aussi les pays avec une politique nationale d’appui aux coopératives les plus actives. En RDC, le Service national des coopératives et organisations paysannes ( SNCOOP), un département du ministère du Développement rural, doit devenir un service pro-actif, doté de moyens significatifs par le budget national, mettant en place des organes de participation démocratique des coopératives à la formulation et à la mise en œuvre d’une politique d’appui d’envergure aux sociétés coopératives. Cette politique, bien réfléchie ensemble avec les coopératives agricoles, pourrait devenir le fer de lance de la « Revanche du sol sur le sous-sol » et serait bien plus efficace que l’approche actuelle des parcs agro-industriels, dont nous avons tous constaté l’échec.
Si l’Etat construit un environnement propice pour l’épanouissement des coopératives, celles-ci sont la meilleure forme d’entreprise pour créer l’emploi et le bien-être, faire émerger une économie inclusive socio-écologique, protéger contre les méfaits du capitalisme sauvage, lutter contre la corruption et établir une réelle démocratie à la base. L’Etat, à son tour, et la Nation toute entière, bénéficieront des activités et de l’esprit des coopératives.
ACP/ODM