Trois questions à Christopher Ngoyi, activiste des Droits humains

Kinshasa,14 avril 2023 (ACP).- La persistance de  l’insécurité dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) qui menace l’organisation des élections de décembre 2023 et d’autres enjeux de l’heure ont  été abordés, jeudi,  par l’activiste des droits humains, Christopher Ngoyi, dans une  interview accordée, à l’ACP.

 Ce coordinateur général de « la Société civile du Congo » a par ailleurs déploré, à travers son point de vue, « l’injustice de la Communauté internationale, encore hésitante à sanctionner le Rwanda, pays agresseur de la RDC, alors qu’elle se mobilise davantage pour la cause de l’Ukraine ».

Christopher Ngoyi a, enfin, décrié « la non intégration des organisations de la Société civile dans le programme de lutte pour le changement de mentalités ».

Question 1 : Quelle lecture faites-vous du processus électoral en cours ? Les Congolais ne peuvent-ils pas s’attendre à une tentative de report suite à la  persistance de l’insécurité dans l’Est de leur pays ? Christopher Ngoy : « Nous, nous sommes confiant. Nous pensons qu’il y a des efforts qui sont fournis, aussi sur la sensibilisation, où je crois qu’il y encore à faire, sur le plan de la logistique qui avait posé un problème au début, mains  maintenant qu’il y a un personnel rôdé, nous avons l’impression que le travail évolue tant bien que mal, même s’il existe des endroits où l’on remarque encore que les machines ne sont pas en nombre suffisant. Nous pensons donc qu’ils sont dans la fourchette du temps et que la volonté d’organiser les élections dans le délai constitutionnel, est perceptible. Concernant la persistance de  l’insécurité dans l’Est de la RDC, nous disons qu’il est un cas de jurisprudence que le pays a connu en 2018, avec la province de l’Ituri qui avait été écartée à cause de l’insécurité, pour revenir bien après. Mais nous pensons que pour ce qui concerne l’enrôlement qui se déroule actuellement au Nord-Kivu, où il y a beaucoup de déplacés, la CENI avait proposé deux possibilités. On pourra se baser sur les anciennes statistiques, pour attribuer le nombre de siège,  à toutes ces populations, espérant qu’une fois la guerre finie, ils vont regagner leurs terres. Mais on ne peut les écarter maintenant, sachant que  l’accès à certains villages s’avère difficile, des endroits vides ou encore occupés par des étrangers, transplantés par des M23 qui font fuir les autochtones. En attendant que l’ordre revienne et pour parer au plus pressé, la CENI peut, dans un premier temps, considérer les anciennes statistiques et attribuer le nombre des sièges à toutes ces entités-là, avec possibilité d’actualiser les données de terrain plus tard. Si on reporte les élections,  parce qu’on constate que l’on ne peut pas y aller, in fine, sans les deux provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, ça sera justifié et  nous n’allons pas en faire un problème. L’insécurité est une justification valable connue de tout le monde. C’est une réalité qu’on impose. Et le gouvernement, et l’armée sont en train de tout faire pour en finir ».

Question 2 : Comment évaluez-vous les réactions de grandes puissances et organisations mondiales face aux appels incessants du gouvernement congolais exigeant des sanctions contre le Rwanda, pays agresseur de la RDC ?  Christopher Ngoyi : « Je crois  que ces grandes puissances sont en train de nous décevoir quelque part. On ne peut pas voir deux poids et deux mesures, en considérant le cas de l’agression de l’Ukraine par la Russie qui suscite la mobilisation de toute la communauté internationale. Cette dernière fait tout pour assister l’Ukraine et infliger de multiples sanctions à l’agresseur, alors que dans le même espace de temps et sur la même planète terre, il y a la RDC qui est agressée.  Et ce n’est pas le premier coup du Rwanda. Cette guerre a décimé plus de 12 millions de Congolais.  Ce sont des êtres humains qui meurent au même titre que les Ukrainiens.  Alors moi je pense que la condamnation du Rwanda, surtout de Paul Kagame, devait intervenir le plus rapidement possible. Et c’est déplorable le fait qu’elle vient avec beaucoup d’hésitation.  Et au delà de ça, lorsque nous considérons tout ce qu’on nous a imposé depuis le début de cette crise, notamment la présence de la MONUSCO sur notre territoire depuis plus 20 ans,  et le Rwanda toujours pas condamné, nous, en tant que Société civile, nous regrettons amèrement et nous mettons en garde. Car la population que nous gérons et que nous encadrons est en train de réaliser la mesure de l’injustice et développe  une aversion vis-à-vis de grandes puissances et de l’Occident. Nous en profitons pour dire à nos partenaires du  domaine des Droits de l’homme, qu’il est temps de rectifier ou de changer de fusil d’épaule ».

Question 3 : Le pays a un « Programme national de lutte pour le changement des mentalités ». Êtes-vous de ceux qui pensent qu’il est un chantier incontournable pour développer la RDC ? Quelle est votre contribution  pour la réussite de ce programme, en tant que Société civile ? Christopher Ngoyi : « Merci beaucoup. Le Programme national de lutte pour le Changement de mentalités est essentiel pour toute société, pas seulement en RDC, parce que  nous sommes dans un monde en mutation, où il faut s’adapter à toutes les fluctuations. Et l’être humain étant le sujet principal, en tant que catalyseur de tout changement et bénéficiaire ou subissant ce changement, il est appelé à s’adapter. C’est une irresponsabilité pour l’élite de laisser la société  évoluer sans encadrement, sans repère, ni culture non plus.  Pour ce qui concerne notre pays, il y des exigences liées aux Objectifs de développement durable. Il y a la lutte contre le réchauffement climatique, qui n’est toujours pas intégrée dans notre culture. La lutte contre l’insalubrité n’impacte non plus notre quotidien. Et tout ceci, avec une population en expansion démographique, sans encadrement. La circulation routière désordonnée vécue au quotidien à travers les artères de la capitale est un indicateur  considérable et la preuve de la nécessité d’une action profonde de conscientisation. L’État a tendance ici  à perdre sa vocation à imposer la loi, il n’est pas suffisamment épaulé, à travers le programme national de lutte pour le changement de mentalités. Et la Société civile qui  constitue son partenaire naturel est complètement écartée, alors qu’elle devait normalement être impliquée. Nous, en tant que Société civile, nous avons des organisations qui sont en contact direct avec les populations. Et pour ces organisations-là, la sensibilisation au changement des mentalités  est un exercice de contact physique, d’éducation et de moralisation qui a besoin de l’implication de toutes les couches de la Société ».ACP/

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