Trois questions à  l’historien  Kiangu Sindani, professeur ordinaire à la Faculté des lettres de l’Unikin

Kinshasa, 16 septembre 2024 (ACP).- Le professeur Kiangu, également secrétaire permanent à l’antenne nationale du Centre international des civilisations Bantu (Ciciba) est revenu sur l’héritage du Maréchal Mobutu, deuxième Président de l’ex-Zaïre, mort le 07 septembre 1997 à Rabat, au Maroc, dans un entretien lundi avec l’ACP. Le Maréchal Mobutu a connu 32 ans de règne suivis d’une chute désastreuse, mais interpellatrice pour la classe politique congolaise actuelle et à venir.

 Question 1 : Que reste-t-il de l’héritage politique du Maréchal Mobutu, 27 ans après son décès ?

Professeur Kiangu : Mobutu  nous a légué un héritage (une tradition qui ne peut pas se laisser tomber dans l’usure du temps), notamment  le recours à l’authenticité qui a permis de nous renouer avec nos aïeux, le nom devrait être donné en fonction des circonstances de naissance et aussi en rapport avec les grands-parents, pour qu’il ne disparaisse pas.  Cette reconnaissance aux aïeux est un symbole fort et un patrimoine. Et à travers les hauts et les bas de la période coloniale, une conscience nationale était née appelée « Unité nationale ». Bien que durant ce moment, certaines provinces de l’ex-Zaïre ne voulaient pas être dirigées par un non-originaire (Équateur, Bas-Congo, Est et le Kasaï), Mobutu a su travailler pour l’unité  du pays qui est le Congo d’aujourd’hui et cette unité a résisté à l’implosion au moment où les gens de l’extérieur ont voulu voir le Congo se disloquer. Son travail a été important de sorte qu’il a permis au Congo de ne pas se diviser, mettant dans la tête des Congolais cet amour et attachement à  leur pays. Donc, sa politique a aidé cette conscience nationale à se développer et à devenir très fort jusqu’à ce jour. Même si le Maréchal avait connu une chute néfaste, mais son héritage vit dans le peuple congolais. 

Question 2 : Après avoir dirigé le pays (ex-Zaïre) durant 32 ans, le Président Mobutu était décédé au Maroc, en exil, dans le dénuement, chassé par l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila. Quelle leçon  les acteurs politiques congolais peuvent tirer de cette « fin néfaste » de règne ?

Professeur Kiangu : Quelle leçon ? Ce qui fait la force d’un homme politique, c’est le fait de s’appuyer sur son propre peuple ; il faut qu’il soit perçu comme étant travailleur  pour son peuple et non pas au service des personnes extérieures, comme Mobutu a été perçu par la suite comme le bastion de l’Occident  en Afrique. Alors que l’Occident ne travaille que sur ses intérêts ; une fois que les intérêts ne sont plus au rendez-vous, il vous jette comme une orange sucée.  Et la classe politique d’aujourd’hui, qui croit qu’être en bon terme avec l’extérieur sécurise  le pouvoir, elle (la classe politique) doit se poser  la question : qu’est-ce que mon pays tire comme gain dans mon alignement ? Elle doit garder à l’esprit cet adage qui dit que  « pour manger avec le diable, il faut avoir de longues fourchettes », car personne ne viendra nous dire « le moment est venu pour le  redressement de la RDC ». A cela s’ajoute le respect de la loi, c’est-à-dire savoir faire appliquer la loi, car le respect de la loi est le début de la sagesse. On ne peut pas prétendre construire un pays, en  bafouant  la loi (…) il faudrait que la loi soit appliquée dans toutes ses formes, si elle n’est pas bien appliquée, nous n’irons nullement loin. En outre, la classe politique doit savoir équilibrer des postes de décisions de la Res publica (chose  publique), savoir équilibrer le quota sur  le partage du pouvoir,  car nos actions peuvent se retourner contre nous. Également le maintien au pouvoir : il ne faut pas être trop attaché au pouvoir de sorte à se détacher de la réalité que vit absolument sa population. A un moment donné, Mobutu ne musait que sur la DSP (Division spéciale présidentielle), oubliant d’autres forces armées, et cela lui a coûté cher et la situation l’a rattrapé.

Question 3 : Beaucoup de Congolais souhaitent voir rapatrier le corps du Maréchal pour des obsèques  dignes d’un ancien Chef de l’État. Votre avis ?

Professeur Kiangu : « Je crois qu’à  cause  de ce que nous avions précité sur l’héritage que nous a légué Mobutu, ça vaut la peine qu’il revienne. Il est vrai que certaines personnes ont peur que sa sépulture devienne un lieu de pèlerinage, que ça relance certaines ardeurs qui sont perdues et voir ça sur le plan strictement utilitaire. J’admire les Etats-Unis où tous les anciens Présidents sont  dans leur pays. Donc quand on a géré jusqu’au niveau de la Présidence, on ne peut pas se permettre de vous évacuer, même si on a mal géré, c’est à  l’histoire de juger. Sur ce, il faudrait que son corps revienne parce qu’il y a aussi le fait que tous ceux qui ont une parenté économique ou politique se sentent indexés… De plus en plus, la peur de la dépouille de Mobutu a diminué et depuis quelques années, la commémoration de la mort de Mobutu a cessé d’être un tabou. Quand il y a messe actuellement, la cathédrale est pleine. Donc le moment de la peur est passé. Avec le recul du temps, le peuple congolais a creusé le bon côté du règne du Maréchal Mobutu qui pourrait être une belle expérience. Bref, Mobutu a été pendant 32 ans Président de ce pays, il a été héritier des pères de l’indépendance. Il est évident, avec le recul du temps, de regarder la vie de Mobutu non pas seulement dans les faits, mais dans les idéaux qui les ont  marqués, surtout avec l’unité nationale ». ACP/

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