Kananga, 23 février 2024 (ACP).- Kinshasa, la ville des fêtes, capitale de la République démocratique du Congo, voit ses réverbères rallumés dans toutes ses splendeurs en ce fin du moitié du mois de février 2024, d’un souvenir de celui qui fut maître parmi les précurseurs de la musique congolaise moderne, dans une mégapole africaine qui, offre un mélange unique de traditions et de modernité.
Joseph-Athanase Kabasele Tshamala, alias Grand-Kallé, reste une icône au-delà d’un mythe ayant brisé au Congo belge, les élans ségrégationnistes dans une spirale où un colon ne pouvait pas se mettre à la même table avec un nègre (congolais de surcroît), ni l’accepter de déambuler à Kalina (l’actuelle commune de Gombe) entre 17h00 et 07h00 du matin.
Par ses premières œuvres, comme Valérine Regina, l’un de près de cent enregistrements (des 78 tours de 25 cm en shellac, avec un seul morceau par face) Grand Kalle a auguré l’ambiance et les airs des fêtes à Léopoldville. Cette œuvre a exacerbé la ressemblance de la chanson à un morceau de bal-musette parisien tandis que pour des personnes averties, elle avait une saveur espagnole qui aurait bien plu à Jelly Roll Morton pourquoi pas à Julio Iglesias, surtout que l’instrument joué n’était autre que l’accordéon.
Les qualités de ténor, dont a fait montre Kallé Jeff, démontraient son admiration pour les stars de l’opérette contemporaine tels que : Tino Rossi et Luis Mariano.
Plus tard, Joseph Kabasele enregistra Valérine Regina sur un disque matériel au studio avec deux guitares acoustiques (que jouaient Georges Doula et Albert Yamba-Yamba) en un son ressemblant à celui d’un vieux piano de bar. Cette chanson d’amour en lingala a caractérisé ses compétences artistiques et décidé de son devenir comme le père de la musique congolaise moderne.
Avant la fin de l’année 1952, les Editions d’enregistrement Opika publièrent un disque qui mit Kabasele sur le devant de la scène et montrait son image sur la pochette. L’image mentionnait également le guitariste, Nico, le frère cadet de Déchaux, dans son premier rôle vedette. L’ingénieur du studio, Gilbert Warnant, jouait d’un petit orgue au lieu d’un instrument à cuivre. Kallé envoya « Parafifi » à la présentatrice d’une Radio de Brazzaville appelée Félicitée dont la traduction se résume comme suite :
« Félicitée, Ma jeune femme aux sources du signal. Vous venez aujourd’hui nous apporter le monde ici. Sur les berges éloignées, Voici le doux paradis ! Je me donne Tout à vous ».
« Comme Kabasele l’espérait sans doute, Parafifi fut un succès non seulement à Léopoldville mais également à Brazzaville (où la station de Félicitée diffusa l’enregistrement plusieurs fois par jour », a témoigné M. Herman Bangi Bayo, un opérateur culturel et chercheur impliqué dans la promotion de la Rumba.
Son succès se propagea sur les deux rives du Congo, les émissions diffusées d’une capitale pouvant être captées dans l’autre. Kallé s’avéra avoir une voix plus qu’attrayante et un don pour créer des morceaux entraînants, il était distinctement moderne et savait sortir des enregistrements dans le vent vantant les mérites des discothèques à la mode et exhibant une influente personnalité sur les ondes radio.
« Pour les auditeurs, les médias, le message était assez nouveau, Kallé n’avait pas l’air du tout grossier, il était très branché. Il donnait maintenant des concerts avec le groupe de Déchaux dans des clubs de danse et des théâtres des quartiers « natifs » de Léopoldville », a indiqué pour sa part Marcel Ngeleka, l’un des compagnons de Joseph Kabasele, ajoutant :
« Aussi charmant qu’il soit en personne lors d’enregistrements, Joseph Kabasele savait également facilement faire plaisir à une foule sortie passer la nuit à s’amuser en ville que les fidèles de l’église quelques années plus tôt. Affable et instruit, il attirait les gens à lui et ils pouvaient ressentir que ses ambitions les incluaient ».
Déchaux céda volontairement la tête du groupe à Kallé. Gabriel et Joseph Benattar eux-mêmes, les frères grecs qui géraient Opika, payaient le salaire de chaque musicien et reconnaissaient que Kabasele était un employé à qui il était plus que facile de faire plaisir et dont les efforts leur rapportaient de plus en plus de profits, son attitude intelligente et innovante méritait leur respect. Ainsi, lorsqu’en 1954, il demanda aux frères Benattar d’embaucher Isaac Musekiwa, saxophoniste de Rhodésie du Sud en visite à Léopoldville, ils le firent.
Tout ce dont manquait ce groupe remarquable, c’était un nom. Cela fut décidé par des fans lorsque Kabasele et ses habitués (y compris Musekiwa) leur présentèrent une chanson intitulée African Jazz. Ils furent dorénavant appelés l’orchestre « African Jazz ».
Un groupe de sept instrumentistes plus un chanteur ne constituait guère un orchestre mais il fut toutefois un tel progrès par rapport au duo, trio ou quarto de troubadours habituels que le terme semblait approprié.
L’ironie du sort a fait que la star soit désormais au cœur de la grande mosaïque que représente la musique populaire africaine, et c’est pendant la période qui a entouré l’indépendance du Congo, en 1960, que Kallé et son groupe, formé avec notamment des musiciens tels que : Manu Dibango, Dr Nico et Tabu Ley Rochereau, eut plus d’influence en Afrique.
Naissance et fin d’un mythe
La ville portuaire de Matadi chef-lieu de la province du Kongo Central dans l’ouest de la République Démocratique du Congo, fut une bourgade construite par les belges. Des marins et des dockers, des marchands, des missionnaires, des prospecteurs et des explorateurs venaient de toute l’Afrique et du monde entier, pour rechercher toutes sortes de choses. C’est cette bourgade qui a vu naître Joseph-Athanase Kabasele Tshamala le 16 décembre 1930. Ses parents, dont la génération avait été épargnée par les pires atrocités qui sévirent dans le Congo soi-disant libre de Léopold II, faisaient partie de la société bien établie de Matadi.
Son père, un Muluba instruit originaire du Kasaï Oriental, avait fait son séminaire et était l’assistant respecté d’un évêque catholique. Lorsque ce prélat fut transféré à Léopoldville, la nouvelle capitale du Congo belge, il emmena son assistant avec lui. C’est ainsi qu’André Tshamala prit le train qui contournait les chutes avec son épouse Hortense Malula, la sœur de l’abbé Joseph-Albert Malula, et son fils de deux semaines pour aller s’installer dans la ville qui s’érigeait autour du village Nsansa cette fois ci appelé Kinshasa.
Kinshasa ou Léopoldville à l’époque, était plus petite que Matadi ou Brazzaville (la capitale du Congo français située en face, sur la rive nord du fleuve Congo, juste au-dessus des chutes), mais elle était destinée à devenir une grande ville. Léopoldville comptait en 1930 moins de 20 000 habitants, sa population allait se multiplier par neuf au cours deux décennies qui suivirent. C’est dans la fourchette des années 30 que Joseph Kabasele fut instruit dans les meilleures écoles catholiques de la ville et chanta dans des chorales d’église.
A 19 ans, il fut invité à chanter avec le guitariste Georges Doula et fit ainsi ses débuts d’enregistrement en 1950 chez Opika (en lingala, Opika signifie « prendre position »). Tout le monde pensait qu’il suivrait les traces de son oncle maternel et homonyme, l’abbé Joseph-Albert Malula crée cardinal en 1969 par Rome, en entrant dans les ordres, pour y être un grand chantre. Le jeune Joseph, que ses amis appelaient Jeef, avait toutefois d’autres idées en tête.
Après un parcours éloquent et une brillante carrière artistique, Grand Kallé a tiré sa révérence le 11 février 1983. ACP/Kayu