Trente ans après, ce génocide qui en cache un autre (Par Moïse Musangana et Jean Mohl Kenge Mukengeshayi)

Pour un drame rwando-rwandais qui a eu lieu hors de ses frontières, la République Démocratique du Congo est en train de payer les pots cassés depuis trente ans. Et jusqu’à quand va-t-elle continuer à payer ? Ceci d’autant que le génocide de 1994, même s’il signe le summum de la sauvagerie abjecte au Rwanda, n’est pas le premier épisode du genre dont l’onde de choc se transmet avec plus d’énergie dans la partie orientale du Congo voisin.

Le décompte fait depuis 1997, plus particulièrement dans la région du Kivu, par plusieurs experts dénote une tragédie : 10 millions de morts, 500 000 femmes violées, 110 000 km2 de forêts dévastées, notamment par l’exploitation illégale des ressources minières,… La comptabilité macabre est loin de se clôturer. Surtout avec la résurgence de la guerre que les troupes rwandaises, sous couvert du M23, livrent injustement au Congo dans les territoires du Masisi, Rutshuru et Nyiragongo, province du Nord-Kivu, depuis deux ans. Ce qui donne lieu à une crise humanitaire innommable avec plus de cinq millions de Congolais déplacés dans leur propre pays.

Ce sont des pages de sang qui devraient, dixit l’ancien ministre français de la Défense Charles Millon (Charles Onana 2023), faire la honte d’une partie de l’Occident, s’il daignait ouvrir les yeux. Mais, personne ne s’en émeut. Bien au contraire, la France, par son président Emmanuel Macron, s’inscrivant dans la droite ligne de son prédécesseur Nicolas Sarkozy, brille par des génuflexions devant Paul Kagame, celui-là même qui est à la base de l’acte déclencheur des massacres odieux non seulement des Tutsis, mais aussi des Hutus modérés, qui ont débouché sur le génocide pour lequel les Congolais continuent, sous le silence de la communauté internationale, à payer le lourd tribut, alors qu’ils n’y sont mêlés ni de loin, ni de près. Ils n’en auront jamais la même appréhension que les Rwandais qui se sont retournés contre eux-mêmes parce qu’ils n’en sont ni auteurs, ni co-auteurs. Ils n’en sont que des grandes victimes au point que la balkanisation de leur pays préoccupe plusieurs officines aussi bien en Occident qu’en Afrique.

Un lourd tribut pour les Congolais

Certes, les Congolais ne peuvent, en aucun moment, se satisfaire de la barbarie qui a fauché ainsi 800 mille à un million d’âmes. Ils n’en ont et n’en tireront aucun dividende. Mais, paradoxalement, ils paient une note fortement salée depuis trois décennies à cause de la nonchalance dont les Nations unies et les puissances occidentales (les USA, la Grande-Bretagne, le Canada, la France, l’Australie et la Belgique) ont fait montre, alors qu’elles avaient suffisamment des moyens tant humains que matériels sur le terrain pour empêcher à l’humanité de vivre cette énième page noire. L’historien français Vincent Duclert, ce scientifique auquel Paris a recouru pour nous faire avaler bien de couleuvres, l’a répété tout récemment sur les antennes de RFI : « C’est certain que l’opération Amaryllis était en mesure éventuellement d’arrêter le génocide à Kigali, avec toutes les armées occidentales qui étaient présentes. Il y avait tous les moyens disponibles déjà pour arrêter le processus génocidaire entre 90 et 93. (…) On sait, par exemple, aussi que les Nations unies, avec une forte pression de la France et de la Belgique, vont réduire la Minuar, qui passe de 2500 hommes à 250, donc ça accélère en fond le génocide. Après, il y a l’opération Turquoise, là aussi, qui n’est pas dirigée vers l’arrêt du génocide (…) c’est que le pouvoir de François Mitterrand a ignoré, voire combattu, les alertes, toutes les possibilités d’arrêter ce génocide ».

La confession biaisée de la France 

Le président Emmanuel Macron n’est pas resté en marge. Il ne loupe jamais une occurrence pour témoigner de la compassion pour le Rwanda, victime d’un génocide dont son pays avait manqué de volonté pour l’arrêter. Dans une déclaration publiée ce dimanche 07 avril 2024, jour de la commémoration du 30ème anniversaire du génocide, il exclut toute ambiguïté : «Quand la phase d’extermination totale contre les Tutsis a commencé, la communauté internationale avait les moyens de savoir et d’agir, par sa connaissance des génocides que nous avaient révélée les survivants des Arméniens et de la Shoah, et que la France, qui aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, n’en a pas eu la volonté».

Malgré le fait de vouloir livrer en pâture son prédécesseur François Mitterrand pour se donner bonne conscience, le numéro un français reconnaît la responsabilité de son pays, ainsi que celle des USA, de la Grande Bretagne, de la Belgique, de l’Australie, du Canada et de l’ONU dans la survenue du génocide. C’est notamment cela qui explique l’attitude faite de courbettes de Paris envers Kigali qui a, en sus, banni la langue française de son territoire, justifiant ainsi son alliance avec les USA et leurs grandes compagnies minières qui changent en or le sang des pauvres (Charles Million, in Charles Onana 2023 ? ! Pire, Paris en était, sous Nicolas Sarkozy, arriver à proposer le partage des ressources dans la région des Grands Lacs comme si celles-ci constituaient la raison du génocide. Il n’y a donc qu’un pas à franchir pour réaliser que beaucoup d’autres agendas se sont greffés au génocide rwandais. 

Nul doute, la France s’est fait taper sur les doigts. Et la guerre du Kivu, fomentée par le Rwanda soutenu par les USA et les Britanniques, ne s’inscrit pas moins dans une rivalité générale américano-française qui s’est étendue aussi à la région des Grands Lacs, voire en Afrique centrale. Et comment ne pas le croire lorsque François Millon révèle que le président américain Bill Clinton avait, en personne, fait pression sur Jacques Chirac pour qu’il annule son plan militaire envisagé pour la stabilisation du Kivu ?

D’autre part, c’est ce qui est curieux, Emmanuel Macron n’en démord pas de conforter le narratif du régime rwandais en mettant un accent sur les massacres des Tutsis, exonérant ainsi Kigali de ceux opérés sur les Hutus modérés sur son territoire, voire ceux qui avaient fui vers l’ex-Zaïre du fait des menaces qui pesaient sur eux et non sur invitation de l’Etat zaïrois de l’époque qui avait, du reste sans succès, demandé à la communauté internationale d’installer tous les réfugiés rwandais  à 200 km de la frontière. 

L’Occident dans son rôle historique d’exploitation

La question qui se pose est donc de savoir pourquoi les Occidentaux accompagnent Paul Kagame dans son dessein de falsification s’ils n’en sont pas complices ou bénéficiaires. Selon toute vraisemblance, une terrible vérité, tue aussi bien par les élites occidentales que par les historiens qu’elles appellent à la rescousse de leurs thèses, s’en dégage. A savoir que les Congolais n’ont aucune responsabilité ni dans la survenue du génocide rwandais, ni dans les massacres des Hutus et des Congolais couverts par l’Opération Turquoise.

Il reste donc, au vu de la tournure des évènements, que les ex-Zaïrois retiennent de cette falsification que le génocide rwandais était en réalité l’arbre appelé à cacher la forêt d’un plus vaste génocide des Congolais, couvert et organisé par les élites occidentales pour des objectifs allant au-delà d’un simple changement de régime politique au Rwanda avec la mort du président Habyarimana : le pillage systématique des ressources, sur fond d’une balkanisation des riches provinces de l’Est. 

Plusieurs épisodes méritent d’être soulignés à cet effet. La croisade de l’ADFL, une coalition montée dans les laboratoires occidentaux pour servir cette cause sous le prétexte de combattre la maréchal Mobutu ressemble étrangement à l’AFC de Corneille Naanga destinée à occulter l’implication du Rwanda, par le M23, dans les tristes évènements qui se déroulent dans l’Est de la RDC. Tragédie plus sanglante et dont le couronnement fut la nomination du général rwandais James Kaberebe à la tête de l’armée congolaise, cette campagne connut, entre autres, les massacres de Tingi Tingi, Mbadaka, Kisangani, Kasika et Makobola, tous documentés par les experts de l’ONU et d’autres ONG internationales réputées. L’objectif était évidemment de traquer jusque dans leurs derniers retranchements les présumés génocidaires passés au Congo afin d’éliminer toute menace contre le Rwanda à partir de notre pays. Beaucoup de Congolais ont aussi subi le même sort. 

Cette croisade sanglante s’est poursuivie avec les excroissances de l’AFDL, à savoir le RCD, le CNDP, et le M23, dont l’AFC est le clone. A coup de mixages et brassages, l’armée congolaise fut infiltrée le plus officiellement du monde. 

FDLR : un fantôme qui ne fait du mal à personne 

En définitive, le job a été donc bien fait. Très bien fait même. Et il continue de l’être. Pour preuve, depuis lors, ces soi-disant génocidaires, les FDLR, n’ont jamais attaqué le Rwanda à partir de la RDC, ni occuper une quelconque localité dans leur pays d’origine, ne fut-ce que pendant une minute. Ce qui bat en brèche le fonds de commerce exploité par Kigali depuis trois décennies et qui sous-tend sa politique expansionniste dans la région, allant jusqu’en à en appeler à Berlin II pour réviser les frontières. La partition du Soudan a servi d’aiguillon et nombreux sont ceux qui ont aiguisé bien d’appétits. Reste que, soumis à l’épreuve du temps et aux conditions difficiles d’existence, les résiduelles FDLR ne constituent plus une masse critique. Elles n’ont ni capacité militaire, ni capacité physique. Leurs éléments jeunes doivent avoir une moyenne d’âge de 45 ans. 

Les autres subterfuges dont se sert le Rwanda pour justifier sa présence en RDC, à savoir la discrimination et le discours de haine dont font l’objet les Tutsis congolais, par extension la communauté rwandophone, ne tiennent pas non plus la route. Il n’existe pas de chasse à l’homme envers cette communauté qui compte, de surcroît, des membres dans les institutions du pays. Ils participent aux élections comme tout le monde et adhèrent aux coalitions politiques de leur choix en vue de se positionner dans la gouvernance du pays. Aussi, l’astuce consistant à recruter à tour de bras quelques Congolais inconscients et faibles d’esprit pour faire croire que la crise à l’Est est une affaire congolo-congolaise ne passe plus. Ce sont plutôt des velléités des Occidentaux à faire du Rwanda leur bras armé dans la région pour l’accomplissement de leurs desseins et la sauvegarde de leurs intérêts qui le consolident dans ses projets funestes. Sous des prétextes les plus divers, la France et l’Union européenne financent les campagnes militaires du régime rwandais, Washington soutient ce dernier. Et insensée est la démarche des Britanniques de renvoyer des demandeurs d’asile au Royaume Uni dans un pays exigu et qui cherche de l’espace. Entretemps, c’est leurs multinationales qui en tirent profit en captant les ressources congolaises dont elles encouragent le pillage.

Pour une révolution mentale et culturelle en RDC !

A ce jour, la facture que paie la RDC est énorme : 10 millions de morts, 500 mille femmes violées, plus de 5 millions de déplacés internes, pillages systématiques des ressources, etc. Et cela sous l’impuissance et le silence complice de la communauté internationale. Il est désormais un impératif existentiel pour les Congolais de se réveiller et de tirer les conséquences de cet état des choses. Leur pays se trouve ainsi au centre des enjeux et appétits voraces des autres. Si on n’y prend garde, il peut disparaître de la carte du monde. Et le Congo ne sera pas donc le premier pays à connaître ce sort. 

C’est le rôle des politiques, des historiens, des éducateurs…bref des élites congolaises. Le génocide de 1994 doit être replacé dans son contexte. C’est un génocide des Rwandais en général et non des seuls Tutsis. Les Congolais n’y sont mêlés ni d’Adam, ni d’Eve. Ils en subissent malheureusement et tragiquement le contre-coup. Les puissances qui l’ont inspiré, conduit et encadré pour leur confort, ferment les yeux sur celui silencieux qui s’opère en RDC et dont elles sont également à l’origine.

Parce que nul ne semble disposer parmi les puissances occidentales, plus portées vers la balkanisation du pays, à prendre à bras le corps la problématique du génocide en cours au Congo et l’arrêter au besoin, parce que l’on ne peut ne peut être meilleur avocat de soi-même que soi-même, il est utile que les Congolais mettent en place une commission de commémoration du génocide congolais, de l’enseigner aux Congolaises et Congolais pour forger leur conscience patriotique. Nos millions de morts n’ont pas perdu la vie en vain.  Il convient également d’envisager la création d’un ministère en charge de l’éveil patriotique et de la formation à la citoyenneté.  D’autre part, la RDC doit, tout en continuant de réclamer, et ce de manière vigoureuse, des sanctions contre le Rwanda, ainsi que la mise en place d’un Tribunal pénal international sur la RDC, se doter, sur fond d’une gouvernance démocratique, d’une armée républicaine à même de défendre l’intégrité de son territoire et de dissuader tout pêcheur en eaux troubles. L’implantation des Rwandais au Congo-Brazzaville et en Centrafrique dans des territoires en regard de ceux de la RDC requiert une vigilance tous azimuts.

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