Ils sont loin, bien loin les temps de la « trinité coloniale » quand, pendant la colonisation, l’Etat, le colon et l’Eglise catholique travaillaient main dans la main dans le cadre de l’oeuvre « civilisatrice » de la Belgique au Congo.
C’est-à-dire, l’Etat colonial tenait le pouvoir et réprimait toute velléité d’insoumission ou de rébellion pendant que le colon, dans les concessions que l’Etat lui cédait, organisait le pillage systématique des richesses de la colonie.
Pour sa part, l’Eglise jouait un rôle tout aussi nocif mais plus insidieux dans ce système mis en place par ce qu’on appelait cyniquement la mission « civilisatrice » de la Belgique au Congo.
En effet, tout en s’occupant de la santé et de l’éducation des Congolais, l’Eglise avait cependant joué un grand rôle non seulement pour amadouer les populations autochtones, mais également pour combattre et détruire le système des valeurs africaines en mettant en exergue la supériorité de la civilisation occidentale.
Pas étonnant que l’ayant vite compris, les premiers prêtres autochtones congolais, notamment l’abbé Joseph Albert Malula, se sont vite rangés du côté des forces politiques qui réclamaient l’indépendance.
Aussi, en 1956, le nom du vicaire de la paroisse Christ-Roi, l’abbé Malula, devenu par la suite cardinal, est-il étroitement lié au « Manifeste de conscience africaine », premier document collectif dans lequel les Congolais s’exprimaient clairement pour l’indépendance.
Par la suite, contrairement à la « trinité coloniale », l’Etat congolais et l’Eglise n’ont jamais filé le parfait amour depuis l’indépendance. C’est le désamour parfait entre les princes successifs de l’Etat et de l’Eglise. Entre eux, c’est « je t’aime, moi non plus ».
La guerre de « l’authenticité »
Le premier conflit d’envergure entre l’Etat et l’Eglise au début des années 1970 oppose le président Mobutu Sese Seko et le cardinal Malula. Le confit a comme toile de fond le refus du cardinal de se soumettre à la politique dite de « recours à l’authenticité » initiée par le Chef de l’Etat.
Le changement de noms des citoyens congolais qui étaient obligés de renonçer aux appellations chrétiennes et juives, l’étatisation de toutes les écoles, la nationalisation de toutes les universités, y compris l’université Lovanium (actuelle UNIKIN), le déboulement de toutes les statues coloniales, même celles érigées devant certaines églises ont notamment caractérisé cette politique.
Le refus du cardinal Malula de se soumettre à ce dictat lui vaudra les foudres du président Mobutu qui saisira même des biens immobiliers de l’Eglise catholique, avant d’en restituer quelques-uns plusiers années après.D’aucuns estiment aujourd’hui que ce conflit n’avait pas lieu d’être si les deux dirigeants s’étaient concertés et mis d’accord dès le départ. Face en l’ampleur du conflit le Vatican l’a retenu à Rome.
Car, estime-t-on, l’inculturation et le « Rite zairois » imposés à l’Eglise catholique universelle à l’initiative du cardinal Malula ne sont-ils pas une forme « d’authenticité » prônée par le président Mobutu ?
Les chrétiens en ligne de mire
Successeur du cardinal Malula et créé cardinal en 1991, Frédéric Etsou Nzabi Bamungwabi n’avait pas encore eu le temps de prendre ses marques quand, le 16 février 1992, un massacre des chrétiens marchant pour obtenir la réouverture de la Conférence nationale souveraine était perpétré par les soldats du régime Mobutu.
Cette fois au moins, la fronde contre le régime était conduite par un trio des prêtres de l’archidiocèse de Kinshasa ainsi que par des intellectuels laïcs catholiques.
Tirs croisés sur Joseph Kabila
Si le mandat du président Laurent Désiré Kabila (1997 – 2001) n’a pas été marqué par des conflits majeurs entre l’Etat et l’Eglise, le pays étant en guerre à l’époque, son successeur, Joseph Kabila Kabange a eu maille à partir avec tous les cardinaux qu’il a connus pendant son long règne de 18 ans (2001–2018).
Ce sont les élections qui mettaient à chaque fois le feu aux poudres entre le président Kabila et les princes de l’Eglise.
Déjà en 2006, le cardinal Frédéric Etsou se fendait d’une déclaration aussi inattendue que sensationnelle de la part de cet homme généralement pondéré.
L’ex archevêque de Mbandaka Bikoro et de Kinshasa mettait en fait en cause l’honnêteté de la Commission électorale indépendante (CEI – actuelle CENI) qui avait avalisé la victoire de Joseph Kabila au second tour de la présidentielle face à Jean-Pierre Bemba.
Curieusement, à l’époque, le président Joseph Kabila n’a pas daigné répondre, laissant ce soin à un autre prince de l’Eglise catholique, feu abbé Apollinaire Malu-Malu, président de la CEI, et donc directement mis en cause par le cardinal.
Dans sa réplique, le président de la CEI dénonçait dans le chef du cardinal Etsou une « déclaration dangereuse » au moment où la RDC était en guerre et menacée de balkanisation.
Monsengwo, le seul prophète
La création de l’archevêque de Kinshasa, Laurent Monsengwo Pasinya, comme cardinal en 2010 a eu comme conséquence d’accentuer le fossé entre l’Eglise et les dirigeants politiques de ce pays.
Au lendemain des élections de 2011, le cardinal Monsengwo n’avait pas hésité à déclarer, en direction du président réélu Joseph Kabila, que les « résultats proclamés par la CENI ne sont conformes ni à la vérité ni à la justice ».
Cette déclaration faisait dire à un prêtre de l’archidiocèse de Kinshasa que « le cardinal Monsengwo est le seul prophète de ce pays. Car, comme les prophètes de la Bible, il a eu le courage de dire la vérité au Roi en le regardant en face ».
Toujours est-il que même si elles ont connu de longs moments d’accalmie, les relations entre le président Joseph Kabila et le cardinal Laurent Monsengwo n’ont jamais été des plus cordiales.
Personne en RDC n’est prêt à oublier les mots forts de ce prélat lorsque le pouvoir politique avait réprimé dans un bain de sang les manifestations pacifiques organisées en 2016 par les laïcs catholiques qui s’opposaient aux velléités du pouvoir d’accorder un troisième mandat au chef de l’Etat sortant.
Il avait déclaré sans mâcher ses mots : « Il est temps que les médiocres dégagent et que règnent la paix et la justice en RDC ».
Tshisekedi – Ambongo : la continuité
L’arrivée en janvier 2019 à la magistrature suprême de la RDC de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo sera suivie par la création par le Pape François, en octobre de la même année, du 4ème cardinal de la RDC, Fridolin Ambongo Besungu, en remplacement de Laurent Monsengwo atteint par la limite d’âge et décédé par la suite le 11 juillet 2021.

D’aucuns voudraient savoir ce que sera désormais la cohabitation entre l’Etat, désormais piloté par un président ayant accédé au pouvoir par une victoire électorale et l’Eglise.
Il est peut-être assez tôt pour le savoir, mais au regard des premières passes d’armes, notamment au sujet de la gratuité de l’enseignement fondamental, il y a lieu de craindre qu’aujourd’hui comme hier, l’Etat et l’Eglise ne se situent dans la continuité d’une guerre larvée.