Odilon Kyembe Kaswili alias Mufwankolo, père du théâtre congolais au parcours atypique (Par Kalombo Lungemena/Lumoyo/Ntalasha)

Lubumbashi, 26 février 2021 (ACP).- Odilon Kyembe Kaswili alias Mufwankolo est et demeure le père du théâtre en République Démocratique du Congo au parcours atypique et primé des médailles d’or. Un de ses mentors et acteur de la troupe théâtrale Mufwankolo, Kasong Mbaz A Matshik alias Maisha, ayant rejoint la troupe en 1993, l’a dit jeudi dans une interview exclusive accordée à l’ACP.

Maisha retrace les moments inoubliables de celui qu’il appelle père de plusieurs dramaturges de Lubumbashi.  Odilon Kyembe Kaswili est né le 12 juillet 1935 à Kaluwa, groupement Shamalenge, Secteur Source du Fleuve Congo, territoire de Kambove dans l’actuelle province du Haut-Katanga. Il est adopté en 1941 par son oncle maternel qui l’inscrit à Kapolowe mission où il fait ses études primaires, toujours dans le territoire de Kambove. Il poursuit ses études primaires à Lubumbashi à l’école Saint Boniface de la commune Kamalondo. Il fait la menuiserie à la mission Kafubu où ses talents de comédie sont décelés par les prêtres. Il effectue ses premiers pas dramaturgiques au sein d’une troupe théâtrale scolaire.

Un parcours artistique atypique

Vers la fin de l’année 1954, Odilon Kyembe Kaswili débute sa carrière au sein de la troupe Jeunes Comiques de la Kenya, JECOKE. Il joue les opérettes avec les JECOKE qui ont été inspirés par la tournée au Katanga d’un groupe théâtral de la Rhodésie du Sud, l’actuel Zimbabwe. Ils initient la danse Karinchenche. Ils se produisent dans les bars où ils combinent chants, danse et comédie.

Le commissaire colonial chargé de la culture dans le Katanga, M. Landry, surnommé Kamikonzo à cause de ses petites jambes, crée un spectacle populaire réunissant les groupes socioculturels et les JECOKE. L’architecte belge M. Becker, expérimenté dans les arts dramatiques est associé à l’organisation du spectacle populaire, recrute et encadre les groupes pour une meilleure production devant les colons, en 1954. En juin 1955, les JECOKE prestent pour la première fois officiellement au spectacle populaire. Ce groupe de jeunes gagnent leur vie de la charité des spectateurs. Mme Leloup, épouse de l’adjoint de M. Becker, comédienne professionnelle en Europe, recrute des jeunes pour les initier au théâtre. Elle décèle elle aussi les talents d’Odilon Kyembe Kaswili et lui propose de créer sa troupe.

En 1956, M. Becker finance la mise sur pied de la troupe, qui jusqu’alors n’a pas encore son appellation. Les femmes, fans d’Odilon Kyembe Kaswili qui prestait toujours en cravate, le surnomme Mufwankolo, qui signifie l’homme qui mourra en cravate. Cette appellation est attribuée à la troupe par les fans. M. Landry veut formaliser des documents en vue de l’obtention d’une personnalité juridique de cette troupe théâtrale. Le 07 juillet 1957, la troupe obtient sa personnalité juridique et porte le nom Mufwankolo, jusqu’à ce jour.  Avec ses amis, Odilon Kyembe Kaswili crée le spectacle « le chasseur et le blanc ». Au cours de cette même année, la troupe est invitée à l’exposition de Lokeren en Belgique. La troupe Mufwankolo joue ce spectacle devant le roi Baudouin 1er au palais royal.

Là, Odilon Kyembe Kaswili reçoit sa première médaille d’or décernée par le roi Baudouin 1er. Celui-ci finance la tournée de la troupe Mufwankolo dans toutes les provinces de Belgique. En 1958, sous la demande du gouverneur de la colonie Congo-belge, la troupe Mufwankolo effectue une tournée au Congo en vue de transmettre la culture belge aux congolais. Le spectacle « Mu Congo, Mu Belgique » est alors monté. Cette tournée est faite par voie routière et fluviale uniquement.

En 1959, la troupe est, une fois de plus invitée à la table ronde en Belgique, tenue en prélude des indépendances des pays africains. Elle égaie les acteurs politiques le soir après leurs discussions.  Après l’indépendance en 1960, le gouvernement congolais organise une tournée nationale de la troupe pour montrer l’importance de l’indépendance. La pièce « Mu Congomani, kweli ni masikini ? », qui signifie « un congolais, est-il vraiment pauvre ? ». En 1962 la troupe théâtrale Mufwankolo débute les productions radiophoniques en direct sur la radio nationale

En 1969, la troupe signe un de ses grands contrats avec la Générale des carrières et des mines, Gécamines. Elle joue dans les camps des travailleurs des pièces de sensibilisation et d’éducation des masses sur différentes thématiques proposées par cette entreprise.  En 1974, elle commence également à se produire à la télévision en direct. Elle combine les productions des spectacles aussi bien dans les salles, à la radio qu’à la télévision. En 1976, la troupe est invitée par le président Eadema au Togo.

Elle y joue et remporte le grand prix du festival d’art nègre. En 1984, la troupe enregistre ses pièces de théâtre sur les bandes magnétiques. Entre 2000 et 2006, la troupe effectue beaucoup de tournées nationales sous le financement du Royaume de Belgique et plusieurs grandes entreprises nationales. En 2005, la troupe Mufwankolo reçoit le trophée de la paix octroyée par la Monusco.  En 2007, elle rompt son contrat avec la Radiotélévision Nationale Congolaise, RTNC à cause de non assurance du transport des acteurs.

En 2016, l’ancien président de la RDC, Joseph Kabila Kabange décore Odilon Kyembe Kaswili d’une médaille d’or et est élevé au rang de dignitaire d’Etat.  De son vivant, Odilon Kyembe Kaswili a reçu plusieurs dons. Maisha se rappelle que le tout premier véhicule d’Odilon Kyembe a été une donation du bâtonnier Jean-Claude Muyambo Kyansa.

Le dernier gouverneur du Katanga Moïse Katumbi Chapwe a emboîté le pas, en offrant une maison et un véhicule à ce baobab du théâtre congolais. Depuis 2019, le gouverneur du Haut-Katanga, Jacques Kyabula Katwe a assuré la prise en charge totale de Mufwankolo, et ce jusqu’à l’organisation de ses obsèques. A sa mort le 17 février 2021 à Lubumbashi, Mufwankolo a laissé plus de 1600 productions dont certaines ne sont pas répertoriées.  Il a laissé un héritage culturel énorme. Il a été mentor de plusieurs dramaturges qui, unanimement vantent son humilité, sa compréhension et son adaptation aux différentes tranches d’âge, car il a joué avec les vieux, les jeunes et les plus jeunes.

Défis de la troupe théâtrale Mufwankolo…

Après la disparition de son fondateur, la troupe Mufwankolo est consciente des défis auxquels elle est appelée à faire face. Le premier défi est de trouver un siège de la troupe Mufwankolo, digne de sa renommée internationale. Elle est sous logée dans une petite pièce de fortune, en annexe du cercle Makutano dans la commune Lubumbashi.

Maisha indique que cette situation n’honore guère le patriarche du théâtre congolais, étant donné que plusieurs chercheurs occidentaux et africains mènent des études sur les œuvres dramaturgiques de Mufwankolo.  Il déplore cependant, que plusieurs promesses faites par les autorités tant nationales que provinciales ne sont pas concrétisées notamment, la construction du village Mufwankolo, un espace culturel réservé aux artistes, et l’érection d’un monument en son honneur à Lubumbashi.

Mufwankolo, un label qui mérite son immortalisation

Maisha souligne que Mufwankolo, au-delà d’être une icône, est devenue un label, une marque déposée du théâtre qui mérite d’être immortalisée. Il indique que le théâtre de Mufwankolo est avant tout éducatif avant d’être divertissant.

Pour la pérennisation de ses œuvres, la troupe Mufwankolo restée orpheline, envisage la conception d’un site internet Mufwankolo, où sera relaté le parcours de cette star théâtrale. Elle projette la création d’une chaine de télévision numérique Mufwankolo sur la plateforme Youtube. Ainsi, toutes les pièces théâtrales jouées par la troupe Mufwankolo seront mises en ligne pour une consommation internationale. La troupe aspire à avoir sa maison de production pour continuer l’œuvre du pionnier de la troupe Mufwankolo. Elle dit être fière d’avoir été façonnée par l’homme au grand cœur et toujours en cravate, Odilon Kyembe Kaswili.

Nécessité de protéger les œuvres de Mufwankolo

Le coordonnateur provincial de la Fédération Nationale de Théâtre (FENATH) dans le Haut-Katanga, M. Aaron Robert Tshibang a, jeudi au cours d’une entrevue avec l’ACP, souligné la nécessité de protéger les œuvres d’Odilon Kyembe Kaswili alias Mufwankolo pour son immortalisation. Il a indiqué que les œuvres de Mufwankolo sont diffusées aux États unis par des personnes qui gagnent au détriment des acteurs sa troupe théâtrale.

A cet effet, M. Aaron Tshibang a déploré le manque d’une politique culturelle  en RDC. Il a promis d’entreprendre des démarches auprès des institutions et autorités compétentes pour protéger et vendre les œuvres du patriarche du théâtre congolais, Odilon Kyembe Kaswili. Il a également fait savoir que plusieurs projets sont en cours notamment l’érection d’un monument au rond-point carrefour à Lubumbashi  pour immortaliser Mufwankolo. ACP/Kayu/NiG/JFM

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